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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/82

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mon oncle pierre vassiliévitch.

compte de notre tante Nadejda Andréevna. Les grandes personnes, c’est-à-dire mon père, ma mère et notre institutrice, ne prononçaient jamais son nom en notre présence. Mais notre tante, Anna Vassiliévna, une sœur cadette non mariée de mon père, prise parfois d’accès de bavardage, racontait de terribles choses, sur « notre défunte sœur, Nadejda Andréevna ».

« Quelle vipère ! — Dieu nous en garde ! Elle nous aurait bien mangées, ma sœur Marthe et moi ! et mon frère Pierre en voyait de grises !… — Si quelque domestique la mettait en colère, la voilà qui accourait dans le cabinet de son mari, exigeant la punition du coupable, et de sa propre main, à lui. Celui-ci, dans sa bonté, cherchait à la raisonner. Allons donc ! Le raisonnement la rendait plus féroce : elle se jetait sur lui, l’insultait des plus vilaines injures. « Il n’était qu’un paresseux, indigne d’être homme ! » C’était une honte de l’entendre. Alors, voyant ses paroles inutiles, elle prenait à pleins bras tout ce qu’elle trouvait sur la table : livres, papiers, ce qui lui tombait sous la main, et jetait tout dans le poêle. — « Je ne veux pas, criait-elle, de ces ordures-là dans ma maison. » Elle retirait même sa petite pantoufle de son pied, et en souffletait son mari. Vrai ! elle le souffletait ! Et lui, mon pigeon, ne disait rien ; il cherchait seulement à lui tenir les mains, mais doucement, pour ne pas la blesser, et se contentait de dire : — « Nadejda, calme-toi, que fais-tu ? N’as-tu pas honte devant le monde ! » — La honte ? — elle ne savait pas ce que c’était.