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Page:Spenlé - Novalis.djvu/126

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NOVALIS

création, l’achève cependant avec le plus grand amour, — je dirai même qu’il l’achève avec tant d’amour, précisément parce qu’il s’apprête à l’immoler tout entière à l’Idée… L’Ironie n’est pas une disposition isolée, fortuite de l’artiste, mais le germe vital le plus interne de l’art lui-même. »[1]

Telle est aussi la forme supérieure et poétique que revêtit dans l’esprit de Novalis le suicide philosophique. Volontiers le mystique se serait détourné complètement vers « la sainte, la mystérieuse, l’inexprimable Nuit », — mais c’était là un idéal irreprésentable, un Absolu négatif, où l’artiste, mieux informé, devait ne reconnaître qu’une démence passagère, une fausse « transcendance ». Et cependant l’idéaliste ne pouvait renoncer au rêve passionné, qui avait emporté son imagination comme sur des ailes de feu dans un monde surnaturel. Comment concilier ces deux aspirations contraires qui se partageaient son cœur ? Comment se prêter à la vie, à la joie, à tout ce « néant » terrestre, sans pourtant s’y replonger, sans déroger à la « vocation » plus haute ? À cette question il chercha une réponse dans la philosophie idéaliste nouvelle. En l’invitant à voir dans le monde une simple Apparence, à traiter la vie comme un rêve, comme une illusion géniale, celle-ci lui permettait, sans sacrifice ni dérogation, de s’attarder dans cette illusion, elle le pressait même d’en prendre pleinement conscience, car « ne sommes-nous pas près de nous éveiller lorsque nous rêvons que nous rêvons » ? Que l’homme s’efforce, par une discipline raisonnée, de rendre permanent cet état de croyance, et il verra s’écouler la vie avec la légèreté du rêve.


  1. Solger, op. cit., p. 244-245.