Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
L’INTUITIONNISME


rer des puissances nouvelles d’intuition. La plupart apportent en naissant une orientation instinctive de leur pensée et de leur volonté, qui commande tous leurs choix, tous leurs partis-pris théoriques ou pratiques. Mais le philosophe a percé à jour l’illusion native. Il a opéré en lui une désorientation artificielle de la pensée et de l’instinct. Il a pris conscience de l’arbitraire, parfois redoutable, qui est au fond de la vie, dès qu’on la scrute dans ses profondeurs ; il sait que l’arbitraire est de même au fond de tout. Là est la découverte suprême, pressentie par Novalis plus encore que clairement formulée, le fondement spéculatif sur lequel s’appuie toute sa philosophie esthétique et religieuse. Tout procède, selon lui, d’un arbitraire initial. Nous savons ce que nous croyons savoir, — et nous croyons ce que nous voulons croire. De même le monde où nous vivons est celui où nous voulons vivre. La réalité est une illusion que nous nous donnons à nous-mêmes, le plus souvent inconsciemment. Plus sont étendues et originales nos facultés d’illusion, plus aussi est vaste et intéressant le monde dans lequel nous vivons.[1]

Il s’ensuit que la pensée réfléchie n’est pas la véritable attitude de l’esprit. Elle est purement négative. Elle aboutit à une continuelle suppression de la réalité par la réflexion. Car toute réalité, du dehors comme du dedans, est le produit d’une activité illusoire : Telle est la conclusion à laquelle aboutit la spéculation philosophique chez Novalis. Le monde est pour lui un mirage perpétuel : des essences éternelles s’y réfléchissent sans doute, mais leurs images mobiles se confondent, se brouillent et disparaissent. Il ne reste

  1. N. S. II, 2, p. 443 — 444. « La foi a des degrés. Elle crée une disposition. De la puissance de la foi le monde est sorti… Dans la volonté se trouve le principe de la création. La foi est un effet de la volonté sur l’intelligence » Voir aussi N. S. II, 2, p. 464 et 465. « Toute illusion est aussi indispensable à la vérité que le corps à l’âme… Toute synthèse, toute progression ou toute transition commence par l’illusion… La foi est l’opération illusoire, la base de l’illusion… Si un homme croyait tout à coup vraiment qu’il est moral, il le serait en effet… » et N. S. II, 2, 535. « Nous ne sommes ignorants, que parce que nous le voulons » ou encore N. S. II, 2, p. 571. « Puissance miraculeuse de la foi… Dieu est au moment où je crois qu’il est. » etc.