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Page:Spenlé - Novalis.djvu/165

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L’INTUITIONNISME

que l’art du musicien. Le peintre ne fait qu’employer un système de notations infiniment plus compliqué que celui du musicien. » Raphaël, a-t-on dit, eût été un grand peintre, même s’il était né sans bras. Novalis aurait peut-être ajouté : même s’il était né aveugle. Tout au moins eût-il été alors un grand poète, car par la seule puissance de son rêve intérieur il aurait évoqué en lui un monde aussi riche, aussi varié, aussi expressif que le monde que pouvaient percevoir ses yeux. « L’artiste a vivifié dans ses organes les germes d’une vie autonome ; il a augmenté leur réceptivité pour le monde spirituel et il est par suite en état de produire des idées, sans sollicitation extérieure, d’effluer par elles en dehors de lui-même, de les employer comme des instruments par lesquels il transforme arbitrairement, le monde réel. »[1]

Mais si le génie se ramène à un rêve intérieur quelle différence établir entre le génie authentique et l’imagination du délirant, du simple dément ? À vrai dire les limites apparaissent singulièrement fuyantes et indécises. Les auteurs romantiques ont, par leurs exagérations, préparé, sans le savoir, la théorie « pathologique » du génie et il n’est pas surprenant qu’ils en aient été les premières victimes.

Ce qui distingue, d’après Novalis, l’artiste du délirant ordinaire, c’est d’abord que chez lui le génie peut s’appeler un fait normal, régulier, et non plus fortuit, exceptionnel. L’inspiration n’est pas un rayon intermittent qui pénètre par une fissure secrète et rompt brusquement l’équilibre de la pensée, mais une clarté sereine et unie, où se marient harmonieusement le monde du dedans et le monde du dehors. « Les deux mondes, comme les deux systèmes sensoriels, constituent une harmonie libre, non une dissonance, ni un son unique. »[2] De plus l’artiste est essentiellement idéaliste, — alors que le délirant est un réaliste naïf, qui projette dans

  1. N. S. II, p. 164 et suiv.
  2. N. S. II, 1, p. 306.