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Page:Spenlé - Novalis.djvu/28

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NOVALIS

pour la partie sentimentale, se documentait comme il pouvait, un peu partout. Son existence décousue l’avait réduit à un complet délabrement financier, en sorte qu’il vivait de la générosité de son frère aîné, Guillaume, précepteur en Hollande. Son esprit était atteint d’une sorte de « spleen » qui tarissait à sa source toute activité régulière. Parmi la jeunesse académique du temps sévissait une véritable épidémie morale, une « Wetheromanie » suraigüe, faite d’analyse pessimiste et de scepticisme moral, dont les lettres et les confessions de Frédéric Schlegel dans la « Lucinde » ainsi que les premiers romans de Tieck fournissent le texte psychologique.

Les causes de ce mal étaient sociales autant que morales. Un contraste douloureux s’accentuait entre les aspirations nouvelles, encore imprécises, développées par la culture intellectuelle du XVIIIe siècle et les réalités politiques et économiques du monde environnant. Des énergies nouvelles ne trouvaient aucun emploi approprié et se dissolvaient dans une inaction pénible autant que stérile. Beaucoup de jeunes gens, voués à la théologie, par leur pauvreté, s’usaient ensuite dans la tâche ingrate et déprimante des préceptorats. D’autres, mieux partagés, ne trouvaient cependant dans l’étude du droit ou de la médecine que des méthodes surannées, une nomenclature aride ou un empirisme routinier, que n’avait point pénétrés l’esprit philosophique nouveau. Ainsi entre la « faculté » qu’ils choisissaient et les aspirations qui se faisaient jour parmi eux aucun lien n’apparaissait, : ils ne recevaient de leur étude spéciale ni discipline intellectuelle pour l’esprit, ni direction morale pour la vie, et ce sera plus tard une des idées les plus belles et les plus fécondes de Fichte, professeur à Iéna, que d’exposer aux étudiants de toutes les facultés réunies l’indissoluble unité et la haute moralité du travail scientifique. Pour beaucoup n’existait même pas l’aiguillon de la position à conquérir, le favoritisme et le népotisme étant, dans presque toutes les carrières, le seul mode de recrutement. Ils passaient le plus souvent les « an-