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Page:Spenlé - Novalis.djvu/32

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NOVALIS

dance touffue d’images à demi dégrossies… ne m’empêchent pas de pressentir en lui l’étoffe d’un bon, peut-être même d’un grand poète lyrique, une manière originale et esthétique de sentir, une aptitude à prendre toutes les notes du sentiment. »[1]

Cependant, le premier enthousiasme passé, l’éducateur ne tarde pas à sentir l’âme fluide de son disciple lui échapper. « Mon intention était d’abord de l’attirer entièrement à moi… Mais à vouloir fixer cette mobilité sans frein une femme même perdrait sa peine. Aussi bien j’estime présentement qu’il vaut mieux l’abandonner à lui-même. »[2] Un jour il veut lui enseigner l’art de la séduction. Il le trouve « taciturne, indifférent, sot, arrogant, commençant des propos inintelligibles par des paroles qui distillent l’ennui. Il ne sait prendre à rien un plaisir durable, cœur capricieux, passionné, fidèle, il est brusque jusqu’à la sauvagerie, animé d’une joie toujours remuante et inquiète. »[3] Dans un accès d’hypocondrie Frédéric Schlegel se prend à soupçonner son compagnon, croit qu’il ne s’est attaché à lui que par coquetterie et vanité littéraires, interprète en mal ses moindres propos. « Il me croyait dépourvu de sentiment et se mit à me témoigner de la méfiance. De mon côté je vis clairement qu’il était incapable d’amitié, qu’il n’y avait en lui qu’égoïsme et chimère. Un jour je lui dis : je vous trouve tantôt adorable, tantôt méprisable. »[4] Sur ce ton, un orage était imminent : Il éclata. Un jour que Novalis avait taquiné plus que de coutume, Frédéric Schlegel se fâcha brutalement et parla même de duel. On se raccommoda du reste bientôt. Après son départ de l’Université, Novalis écrivait à son camarade une lettre affectueuse et une correspondance assez régulière, quoique très espacée, s’établit entre eux. « Tu sais quelle part tu as prise à mon éducation » écrivait Novalis quelques

  1. Walzel, op. cit., p. 39.
  2. Walzel, op. cit., p. 39.
  3. Walzel, op. cit., p. 43.
  4. Ibid