Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
354
NOVALIS

De là les deux aspects en apparence contradictoires et déconcertants sous lesquels se présente une pareille composition. Elle paraît à la fois abstraite, théorique, schématique, et puis aussi d’un autre côté incohérente, féerique, follement, capricieuse. Ces deux caractères se trouvent, déjà juxtaposés, plutôt que fondus, dans les fragments où Novalis s’efforcait de tirer au clair ses idées générales sur l’art du romancier. « Un auteur de romans — dit-il quelque part — fait une sorte de bouts-rimés (sic), c’est-à-dire qu’il fait sortir d’une certaine multiplicité donnée de hasards et de situations une série bien ordonnée et organisée, qui conduit un seul individu vers un but déterminé, à travers toutes ces contingences. Il faut qu’il ait d’abord une individualité caractéristique, qui détermine les évènements et est déterminée par eux. Ces variations ou ces mutations d’un même individu en une série continue, constituent la matière intéressante d’un roman… L’individu le plus parfait sera aussi le plus systématique, celui qui est individualisé par un seul coup de dé du hasard, par exemple par sa naissance. Dans ce coup de dé doivent être emboîtés (eingeschachtelt) tous les autres hasards, la série infinie de ses états, ou plutôt il ne s’agit plus ici de hasards, mais d’états prédéterminés… Plus le poète est grand, moins il prend de libertés, plus il a l’esprit philosophique. Il se contente de choisir arbitrairement le premier moment etl développe ensuite tout ce qui se trouve préparé dans ce germe, jusqu’à la solution complète… »[1]

Ainsi parle le philosophe, le mathématicien. Il rêve d’une « analyse combinatoire » qui permettrait de construire des romans « a priori », de les tirer d’une donnée première avec une méthode et suivant une progression aussi rigoureuses, que s’il s’agissait d’une équation algébrique ou d’un problème de contre-point musical. L’œuvre se présente ainsi comme une mosaïque parfaite, d’un dessin géométrique et impeccablement symétrique jusqu’en ses plus infimes détails.

  1. N. S. II, p. 171-172.