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Page:Spenlé - Novalis.djvu/57

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AMOUR MYSTIQUE

sœurs, Woldemar et Henriette, se rencontrent, elles reconnaissent que de toute éternité elles ont été prédestinées l’une à l’autre, que leurs natures se complètent et se fondent harmonieusement. Mais du même coup les deux amants prennent conscience, selon le mot de Schlegel, de « leur incompatibilité matrimoniale ». Ils analysent voluptueusement les émotions exquises que leur procure cette harmonie mystique des âmes, « ce quelque chose, dit Henriette, qui fait ressentir si vivement la présence de l’Ami, qui fait qu’on l’enlace avec un attendrissement que nul autre objet ne saurait provoquer ». Mais qu’on parle à cette ingénue du moyen le plus naturel et le plus légitime, semble-t-il, de sceller l’union des âmes, aussitôt son imagination se révolte. C’est que Woldernar et Henriette appartiennent à la famille de ceux qui jouissent de leur propre cœur mieux que d’aucun attachement réel, qui s’adorent eux-mêmes dans l’objet adoré, qui dans l’amour recherchent surtout leur manière d’aimer, c’est-à-dire une idée raffinée et exaltée d’eux-mêmes.

Il n’est pas jusqu’au théologien et prédicateur berlinois Schleiermacher, auteur d’un catéchisme pour les belles dames, et ami de cœur de la belle Henriette Herz, qui n’ait condescendu à tracer cette « carte du Tendre » mystique, couvrant de son autorité, avec une ironie indulgente et onctueuse, les problématiques liaisons de ses amis et amies romantiques. « En amour aussi, disait-il, il faut qu’il y ait des essais préliminaires, d’où ne résultera rien de durable, mais où chacun travaille pour sa part à rendre plus précis le sentiment, plus vastes et plus magnifiques les horizons de l’amour. Dans ces essais l’attachement à un objet déterminé peut n’être que purement fortuit, souvent même et au début purement imaginaire, et en tout cas il reste toujours quelque chose de très passager, aussi passager que le sentiment lui-même, qui bientôt cédera la place à un autre sentiment plus précis et plus profond. »[1] Détourner vers un objet

  1. Briefe über die Lucinde, p. 83.