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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/120

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PREMIÈRE PARTIE.

tins assez bien jusqu’à la fin ce qu’il pouvait y avoir d’un peu gênant dans le rôle que je m’étais imposé. En sortant de l’appartement de la reine, madame de R. me dit avec une émotion qui me récompensa mille fois de mon sacrifice : « Généreuse Delphine ! vous m’avez donné la seule leçon qui pût faire impression sur moi ! vous m’avez fait aimer la vertu son courage et son ascendant. Vous apprendrez dans quelques années qu’à compter de ce jour je ne serai plus la même. Il me faudra longtemps avant de me croire digne de vous voir ; mais c’est le but que je me proposerai, c’est l’espoir qui me soutiendra. » Je lui pris la main à ces derniers mots, et je la serrai affectueusement. Un sourire amer de madame du Marset, un regard de M. de Fierville m’annoncèrent leur désapprobation ; ils parlaient tous les deux à Léonce, et je crus voir qu’il était péniblement affecté de ce qu’il entendait : je cherchai des yeux madame de Vernon, elle était encore chez la reine. Pendant ce moment d’incertitude, Léonce m’aborda, et me demanda avec assez de sérieux la permission de me voir seule chez moi dés qu’il aurait reconduit madame de Vernon. J’y consentis par un signe de tête ; j’étais trop émue pour parler.

Je retournai chez moi ; j’essayai de lire en attendant l’arrivée de Léonce. Mais lorsque trois heures furent sonnées, je me persuadais que madame de Vernon l’avait retenu, qu’il s’était expliqué avec elle, qu’elle avait intéressé sa délicatesse à tenir les engagements de sa mère, et qu’il allait m’écrire pour s’excuser de venir me voir. Un domestique entra pendant que je faisais ces réflexions ; il portait un billet à la main, et je ne doutai pas que ce billet ne fût l’excuse de Léonce. Je le pris sans rien voir, un nuage couvrait mes yeux ; mais quand j’aperçus la signature de Thérèse, j’éprouvai une joie bien vive : elle me demandait de venir le soir chez elle ; je répondis que j’irais avec un empressement extrême. Je crois que j’étais reconnaissante envers Thérèse de ce que c’était elle qui m’avait écrit.

Je me rassis avec, plus de calme, mais peu de temps après mon inquiétude recommença ; j’avais appris depuis une heure à distinguer parfaitement tous les bruits de voiture : je connaissais à l’instant celles qui venaient du côté de la maison de madame de Vernon. Quand elles approchaient, je retenais ma respiration pour mieux entendre, et quand elles avaient passé ma porte, je tombais dans le plus pénible abattement. Enfin, une s’arrête, on frappe, on ouvre, et j’aperçois le carrosse bleu de Léonce qui m’était si bien connu. Je fus bien honteuse alors de l’état dans lequel j’avais été ; il me semblait que Léonce