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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/137

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DELPHINE.

autre femme à l’autel ! Il ne me donnait pas même un regret ! Il me croyait indigne de son nom ! Je voulais, ce soir même, aller trouver Léonce, oui, l’époux de Mathilde, lui demander la raison de cette cruauté, de ce mépris qui l’avaient forcé de rompre nos liens. Mais cette honte, grand Dieu ! l’implorer ! lui qui me croit dégradée dans l’opinion des hommes ! Ah ! que je meure, mais que je meure immobile à la place où j’ai reçu le coup mortel !

Qu’avais-je donc fait, cependant, qui pût inspirer à Léonce cette haine subite contre moi ? J’avais cédé à la pitié que m’inspirait l’amour de Thérèse : ne la comprend-il donc pas, cette pitié ? se croit-il certain de n’en avoir jamais besoin ? Ma condescendance peut être blâmée, je le sais ; mais pouvais-je aimer comme j’aimais Léonce, et n’avoir pas un cœur accessible à la compassion ? L’amour et la bonté ne viennent-ils pas de la même source ?

Non, ce ne sont pas les motifs de mon action qu’il juge, c’est ce que les autres en ont dit ; c’est leur opinion qu’il consulte, pour savoir ce qu’il doit penser de moi : jamais il ne m’aurait rendue heureuse, jamais ! Ah ! qu’ai-je dit, Louise ? Aucune femme sur la terre ne l’aurait été comme moi : je me serais conformée à son caractère, je l’aurais consulté sur toutes mes actions ; il m’aimait, j’en suis sûre ! sans cet éclat cruel… Ah ! Thérèse, vous nous avez perdues toutes les deux !

J’ai eu soin de lui cacher quelle était la cause de mon désespoir : elle est assez malheureuse. Cependant elle n’a point à se plaindre de son amant ; c’est le sort qui les sépare. Mais Léonce, ce sort, c’est ta volonté, c’est toi… Louise, est-il sûr qu’ils sont mariés maintenant ? qui le sait, qui me le dira ? Sans doute ils le sont depuis plusieurs heures ; tout est irrévocable.

J’irai pourtant à Paris demain ; je n’y verrai personne, je ne verrai pas madame de Vernon. Qu’a-t-elle affaire de moi ? Mais je saurai l’heure, le lieu, les circonstances ; je veux me représenter l’événement qui sera désormais l’unique souvenir de ma vie ; je veux d’autres douleurs que cette lettre, d’autres pensées non moins déchirantes, mais qui soulagent un peu ma tête : elle est là, devant moi, cette lettre ; je la regarde sans cesse, comme si elle devait s’animer et répondre à mes avides questions.

Louise, vous aviez raison de craindre le monde pour votre malheureuse Delphine : voilà mon âme bouleversée ; le calme n’y rentrera plus, la tempête a triomphé de moi. Vous qui m’aimez encore, il faut que vous me le pardonniez, mais je