Aller au contenu

Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
PREMIÈRE PARTIE.

l’église ; ils annonçaient l’arrivée de Léonce ; les orgues bientôt aussi la célébrèrent, et mon cœur seul mêlait le désespoir à tant de joie. Cette musique produisit sur mes sens un effet surnaturel ; dans quelque lieu que j’entendisse l’air que l’on a joué, il serait pour moi comme un chant de mort. Je m’abandonnai, en l’écoutant, à des torrents de larmes, et cette émotion profonde fut un secours du ciel ; j’éprouvai tout à coup un mouvement d’exaltation qui soutint mon âme abattue : la pensée de l’Être suprême s’empara de moi ; je sentis qu’elle me relevait à mes propres yeux. Non, me dis-je à moi-même, je ne suis point coupable ; et lorsque tout bonheur m’est enlevé, le refuge de ma conscience, le secours d’une Providence miséricordieuse me restera. Je vivrai de larmes ; mais, aucun remords ne pouvant s’y mêler, je ne verrai dans la mort que le repos. Ah ! que j’ai besoin de ce repos !

Je n’avais pas encore osé lever les yeux ; mais quand les sons eurent cessé, cette douleur déchirante qu’ils avaient un moment suspendue me saisit de nouveau : je vis Léonce à la clarté des flambeaux ; pour la dernière fois sans doute je le vis ! Il donnait la main à Mathilde ; elle était belle, car elle était heureuse ; et moi, mon visage couvert de pleurs ne pouvait inspirer que de la pitié.

Léonce, est-ce encore une illusion de mon cœur ? Léonce me parut plongé dans la tristesse ; ses traits me semblaient altérés, et ses regards erraient dans l’église, comme s’il eût voulu éviter ceux de Mathilde. Le prêtre commença ses exhortations, et lorsqu’il se tourna vers Léonce pour lui adresser des conseils sur le sentiment qu’il devait à sa femme, Léonce soupira profondément, et sa tête se baissa sur sa poitrine.

Vous le dirai-je ! un instant après je crus le voir qui cherchait dans l’ombre ma figure appuyée sur la colonne, et je prononçai dans mon égarement ces mots d’une voix basse : C’était à Delphine, Léonce, que cette affection était promise ; oui, Léonce, la devait à Delphine ; elle n’a point cessé de la mériter. Il se troubla visiblement, quoiqu’il ne pût m’entendre. Madame de Vernon se leva pour lui parler ; elle se mit entre lui et moi : il s’avança cependant encore pour regarder la colonne ; son ombre s’y peignit encore une fois.

J’entendis la question solennelle qui devait décider de moi. Un frissonnement glacé me saisit ; je me penchai en avant, j’étendis la main ; mais bientôt, épouvantée de la sainteté du lieu, du silence universel, de l’éclat que ferait ma présence, je me retirai par un dernier effort, et j’allai tomber sans connais-