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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/19

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OBSERVATIONS

qui ne l’avait payée de cette chaleur active d’amitié que par un égoïsme ménagé et poli. Déjà, lors de la composition de Delphine, avait eu lieu cet incident du dîner dont il est question dans les Dix années d’exil : « Le jour, dit madame de Staël, où le signal de l’opposition fut donné dans le Tribunat par l’un de mes amis, je devais réunir chez moi plusieurs personnes dont la société me plaisait beaucoup, mais qui tenaient toutes au gouvernement nouveau. Je reçus dix billets d’excuse à cinq heures ; je reçus assez bien le premier, le second ; mais à mesure que ces billets se succédaient, je commençai à me troubler. » L’homme qu’elle avait si généreusement servi s’éloigna d’elle alors de ce ton parfaitement convenable avec lequel on s’excuse de ne pouvoir dîner. Admis dans les nouvelles grandeurs, il ne se commit en rien pour soutenir celle qu’on allait bientôt exiler. Que sais-je ? il la justifiait peut-être auprès du Héros, mais de cette même façon douteuse qui réussissait si bien à madame de Vernon justifiant Delphine auprès de Léonce. Madame de Staël, comme Delphine, ne put vivre sans pardonner : elle s’adressait de Vienne en 1808 à ce même personnage, comme à un ancien ami sur lequel on compte[1] ; elle lui rappelait sans amertume le passé : « Vous m’écriviez, il y a treize ans, d’Amérique : « Si je reste encore un an ici, j’y meurs ; j’en pourrais dire autant de l’étranger, j’y succombe. » Elle ajoutait ces paroles si pleines d’une tristesse clémente : « Adieu, — êtes-vous heureux ? Avec un esprit si supérieur, n’allez-vous pas quelquefois au fond de tout, c’est-à-dire jusqu’à la peine ? » Mais, sans nous hasarder à prétendre que madame de Vernon soit en tout point un portrait légèrement travesti, sans trop vouloir identifier avec le modèle en question cette femme adroite dont l’amabilité

  1. Voir Revue Rétrospective, n° IX, juin 1834.