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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/211

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DELPHINE.

j’ai prise. Il faut se dominer, il faut ne plus exprimer ce qu’on éprouve ; c’est ainsi qu’on peut étouffer, m’a-t-on dit, les sentiments dont la religion doit triompher. Ma chère Delphine, ma généreuse amie, retenez ce dernier accent, ce sont les adieux qui précèdent la mort ; vous n’entendrez plus la voix qui sort du cœur ; adieu ! »

Thérèse me quitta, je ne la suivis point ; je restai quelque temps seule pour me livrer à mes larmes. Je sentis d’ailleurs que ce n’était pas au moment de son départ que je pourrais produire aucune impression sur elle, et j’espérai davantage de mes lettres pendant son absence. Quand je rentrai, le frère de M. d’Ervins était arrivé. Thérèse fit les préparatifs de son voyage avec une singulière fermeté ; Isaure pleura beaucoup en la quittant ; sa mère, en descendant pour partir, détourna la tête plusieurs fois, afin de ne pas voir l’émotion de cette pauvre petite. Thérèse monta en voiture sans me dire un mot ; mais en prenant sa main je reconnus à son tremblement quelle douleur elle éprouvait.

Thérèse ! être si tendre et si doux, me répétai-je souvent quand elle fut partie, cette force que vous ne tenez pas de vous-même vous soutiendra-t-elle constamment ? ne sentirez-vous pas se refroidir en vous l’exaltation d’une religion qui a tant besoin d’enthousiasme ? et ne perdrez-vous pas un jour cette foi du cœur, qui vous aveugle surtout le reste ? — Hélas ! et moi qui me crois plus éclairée, que deviendrai-je ? l’espérance d’une vie à venir, les principes qui m’ont été donnés par un être parfaitement bon, les idées religieuses, raisonnables et sensibles, ne me rendront-elles donc pas à moi-même, et l’amour ne peut-il être combattu que par des fantômes superstitieux qui remplissent notre âme de terreur ? Louise, là douleur remet tout en doute, et l’on n’est contente d’aucune de ses facultés, d’aucune de ses opinions, quand on n’a pu s’en servir contre les peines de la vie.

LETTRE XXVII. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Bellerive, ce 14 octobre.

Je vous prie, ma chère Louise, de remettre à M. de Clarimin ce billet, par lequel je me rends caution de soixante mille livres que madame de Vernon lui doit : obtenez de lui, je vous en conjure, qu’il cesse de la calomnier. Il est dans sa terre, à