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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/215

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DELPHINE.

LETTRE XXVIII. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Paris, ce 16 octobre.

Avant de nous réunir pour toujours, ma chère sœur, il faut que je m’explique avec vous sur un sujet que j’avais négligé, mais que vous développez trop clairement dans votre dernière lettre[1]pour que je puisse me dispenser d’y répondre. Vous me dites que M. de Valorbe a toujours conservé le même sentiment pour moi ; qu’il n’a pu quitter depuis un an sa mère, qui est mourante, mais qu’il vous a constamment écrit pour vous parler de son désir de me voir et de son besoin de me plaire : vous me rappelez aussi ce que je ne puis jamais oublier, c’est qu’il a sauvé la vie à M. d’Albémar il y a dix ans, et que votre frère conservait pour lui la plus vive reconnaissance. Vous ajoutez à tout cela quelques éloges sur le caractère et l’esprit de M. de Valorbe ; je pourrais bien n’être pas, à cet égard, de votre avis, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Si vous aviez connu Léonce, vous ne croiriez pas possible que jamais je devinsse la femme d’un autre. Je serais très-affligée, je l’avoue, si les obligations que nous avons à M. de Valorbe vous imposaient le devoir de l’admettre souvent chez vous. Je ne pense pas, vous le croyez bien, à revoir Léonce de ma vie ; mais s’il apprenait que je permets à quelqu’un de me rechercher, il croirait que je me console ; il n’aurait pas l’idée qui peut lui venir une fois de plaindre mon sort, et tous les hommages de l’univers ne me dédommageraient pas de la pitié de Léonce. C’en est assez : maintenant que vous connaissez les craintes que j’éprouve, je suis bien sûre que vous chercherez à me les épargner.

Dès que vous m’aurez mandé si M. de Clarimin accepte ma caution, nous partirons. Madame de Vernon désire que je vous prie de l’accueillir avec amitié : ma chère sœur, je vous en conjure, ne soyez plus injuste pour elle ; si je ne puis vaincre les préventions que vous m’exprimez encore dans votre dernière lettre, au moins soyez touchée des soins infinis qu’elle a eus pour moi ; ces soins supposent beaucoup de bonté. Depuis le départ de Léonce pour l’Espagne, je suis presque méconnaissable. Une femme d’esprit a dit que la perte de l’espérance changeait entièrement le caractère. Je l’éprouve : j’avais, vous le

  1. Cette lettre est supprimée.