Aller au contenu

Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
191
DEUXIÈME PARTIE.

vous produisiez était déjà sentie, même à cet âge. Vous l’avouerai-je enfin ? j’ai osé interroger Isaure sur vos sentiments : des circonstances inouïes avaient plusieurs fois ranimé et détruit mon espoir ; j’en accusais quelquefois confusément l’adresse d’une femme ; j’espérai que la candeur d’un enfant déconcerterait les calculs les plus habiles.

« Madame d’Albémar doit se charger de vous, ai-je dit à Isaure ; elle vous emmènera sûrement en Toscane ? — En Toscane ! pourquoi ? répondit-elle ; je serais bien fâchée d’aller en Italie : c’est lorsque maman a tant aimé ce pays-là que nous avons été si malheureux. — Mais votre mère, lui dis-je, n’a-t-elle pas toujours aimé l’Italie ? elle y est née. — Oh ! reprit Isaure, elle l’avait quittée si enfant qu’elle ne s’en souvenait plus. ; mais M. de Serbellane lui a tout rappelé. — M. de Serbellane vous déplaît-il, continuai-je. — Non, il ne me déplaît pas, répondit Isaure ; mais depuis qu’il est venu chez maman, elle a toujours pleuré. — Toujours pleuré ! répétai-je avec, une vive émotion. Et madame d’Albémar, que faisait-elle alors ? — Elle consolait maman ; elle est si bonne ! — Oh ! sans doute, elle l’est ! » m’écriai-je. Et dans ce moment, Delphine, je sentis mon cœur revenir à vous. « Mais cependant, ajoutai-je, elle épousera M. de Serbellane ? — M. de Serbellane ! interrompit Isaure avec la vivacité qu’ont les enfants quand ils croient avoir raison ; M. de Serbellane ! oh ! c’est maman qui l’aimait, ce n’est pas madame d’Albémar ; et puisque maman veut se faire religieuse, elle n’épousera pas M. de Serbellane, et madame d’Albémar n’ira sûrement pas en Italie. » À ces mots, la gouvernante d’Isaure la prit brusquement par la main, et l’emmena en lui faisant une sévère réprimande. Je ne prévoyais pas que j’entraînais cet enfant à faire du tort à sa mère ; mais ce mot qu’elle m’a dit, grand Dieu ! que signifie-t-il ? Ce serait madame d’Ervins qui aurait aimé M. de Serbellane ! ce serait pour le sauver que vous auriez pris aux yeux du monde l’apparence de tous les torts ! vous seriez une créature sublime, quand je vous accusais de parjure, et moi, je mériterais… Non, je ne mériterais pas ce que j’ai souffert.

Cependant comment puis-je le croire ? n’ai-je pas une lettre de vous, que je tiens de madame de Vernon, dans laquelle vous me dites de m’en rapporter à ce qu’elle me confiera de votre part ? N’a-t-elle pas gardé le silence ? ne s’est-elle pas embarrassée, comme une amie confuse de vos torts envers moi, lorsque je l’ai interrogée sur les détails que j’avais appris en arrivant à Paris, et qui se répandaient dans la société, à l’occasion