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DEUXIÈME PARTIE.

votre caractère, vous n’entendriez raison sur rien ; vous êtes trop exaltée pour qu’on puisse vous faire comprendre le réel de la vie. Si je meurs de la maladie qui me menace, peut-être vous expliquerai-je ma conduite ; mais tant que je vivrai, il me convient de soutenir mon existence, ma manière d’être dans le monde, telle qu’elle est ; je veux aussi éviter les émotions pénibles que votre présence et les scènes douloureuses qu’elle entraîne me causeraient : il vaut donc mieux ne plus nous revoir. » Vous le dirai-je, ma chère Louise ? je frémis à ces derniers mots ; j’étais bien décidée à ne plus être liée avec madame de Vernon ; je sentais que je ne pouvais répéter des reproches de cette nature, et qu’il me serait impossible de la revoir sans les renouveler ; mais je ne m’étais pas dit que ce jour finirait tout entre nous, et la rapidité de cette décision, quelque inévitable qu’elle fût, me faisait peur. « Quoi ! lui dis-je, vous ne pouvez pas trouver quelques excuses qui puissent affaiblir mon ressentiment ? — Le prestige de tout ce que j’étais pour vous est détruit, me dit madame de Vernon ; je suis trop fière pour essayer de le faire renaître. — Trop fière, m’écriai-je, vous qui avez pu me tromper !… — Laissons ces reproches, reprit-elle impatiemment ; je vaux peut-être mieux que je ne parais ; mais, quoi qu’il en soit, je ne veux pas m’entendre dire le mal que l’on peut penser de moi.

Vous êtes la maîtresse, ajouta-t-elle, de rendre les derniers jours de vie qui me restent horriblement malheureux, en révélant tout à Léonce ; vous pouvez user de cette puissance, je n’essayerai point de vous en détourner. — Ah ! m’écriai-je, vous ne savez pas encore ce que vous pourriez sur moi si le repentir… — Du repentir ? interrompit-elle avec l’accent le plus ironique ; voilà bien une idée dans votre genre ! » À cette réponse, à cet air, je repris toute mon indignation, et m’avançai vers la porte pour m’en aller ; mais tout à coup je m’arrêtai, je regardai cette chambre dans laquelle j’avais passé des heures si douces, et je songeai que j’allais en sortir pour n’y plus rentrer jamais.

« Hélas ! lui dis-je alors avec douceur, combien vous avez mal connu la route de votre bonheur ! vous avez rencontré au milieu de votre carrière une personne jeune, qui vous aimait de sa première amitié, sentiment presque aussi profond que le premier amour ; une personne singulièrement captivée par le charme de votre esprit et de vos manières, et qui ne concevait pas le moindre doute sur la moralité de votre caractère : vous le savez, autour de moi j’avais souvent entendu dire du