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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/231

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DELPHINE.

loureux mouvement ; mais je me repentis d’avoir dénaturé ce que j’éprouvais, et de m’être donné des torts de parole, quand mes sentiments et mes actions n’en avaient aucun. J’étais aussi, je l’avoue, vivement irritée, en apprenant que madame de Vernon cherchait encore à me nuire, dans le moment même où j’hésitais si je ne sacrifierais pas le bonheur de toute ma vie à son repos.

Cependant que deviendrai-je tant que Léonce me soupçonnera ? la solitude et le temps ne feront rien à cette douleur ; elle renaîtra chaque jour, car chaque jour j’essayerai de raisonner avec moi-même, pour me prouver que je dois répondre à Léonce. Mais pourquoi donc supposer que ma conscience me le défende ? Ah ! je l’espère, vous et M. Barton, vous penserez que Léonce aura assez de calme, assez de vertu, pour apprendre la vérité sans punir celle qui fut coupable : ah ! s’il sait pardonner, ne puis-je pas tout lui dire ?

P. S. Vous ne m’avez pas répondu sur l’affaire de M. de Clarimin : je suis bien sûre que vous sentez comme moi que je dois mettre plus d’importance que jamais à lui faire accepter ma caution. Si par hasard vous ne l’aviez pas encore offerte, ce qui vient de se passer vous inspirera, j’en suis sûre, le désir de vous hâter.

LETTRE XXXIII. — MADEMOISELLE D’ALBÉMAR À DELPHINE.
Montpellier, ce 4 novembre.


Ma chère Delphine, mon élève chérie, dans quel monde êtes-vous tombée ? Pourquoi faut-il que madame de Vernon, cette femme perfide que mon pauvre frère détestait avec tant de raison, vous ait captivée par son esprit séducteur ? Pourquoi n’ai-je pas su réunir à mon affection pour vous cet art d’être aimable, qui pouvait satisfaire votre imagination ? vous n’auriez eu besoin d’aucun autre sentiment, et votre cœur n’eût jamais été trompé.

Vous me demandez un conseil sur la conduite que vous devez tenir avec Léonce : comment oserai-je vous le donner ? Je ne pense pas que vous deviez en rien vous sacrifier pour l’indigne madame de Vernon ; mais quand Léonce saura que vous n’avez jamais cessé de l’aimer, pourra-t-il supporter Mathilde ? pourra-t-il se résoudre à ne pas vous revoir ? aurez-vous la force de le lui défendre ? Cependant, faut-il que, pouvant vous