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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/242

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DEUXIÈME PARTIE.

impatiemment ; sans ma confiance en Dieu, la douleur que je ressens me paraîtrait bien pénible à supporter. Adieu, ma chère cousine ; je viens de demander qu’on fît dans mon couvent des prières pour ma mère ; je les ai obtenues, j’y joins les miennes ; j’espère que vous rendrez les vôtres efficaces en vous réunissant à moi dans les pieux efforts qui me sont commandés.

LETTRE XLI. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Paris, ce 29 novembre.

Elle vit encore, ma chère Louise, et c’est tout ce que je puis vous dire ; je n’ai point d’espérance, et jamais je n’aurais eu plus besoin d’en concevoir. Je me suis rattachée à madame de Vernon par des sentiments qui ne sont pas en tout semblables à ceux que j’éprouvais pour elle, mais la pitié les rend aussi tendres. Que ne puis-je prolonger ses jours ! Si elle revenait de son état maintenant, elle se corrigerait de ses défauts, parce qu’elle serait éclairée sur ses erreurs ; mais, hélas ! il semble que la nature ne donne sa plus terrible leçon que la dernière, et ne permet pas de faire servir à la vie les sentiments qu’ont inspirés les approches de la mort.

Je puis vous écrire pendant que madame de Vernon essaye de se reposer ; on lui a expressément défendu de parler, ce qui m’oblige à m’éloigner souvent d’elle. Votre intérêt sera douloureusement captivé par le récit de la conduite qu’elle tient ; vous serez aussi, je le crois, frappée de la singulière lettre qu’elle m’a écrite ; je vous l’envoie, en vous priant de me la conserver. Oh ! que le cœur humain est inattendu dans ses développements ! Les moralistes méditent sans cesse sur les passions et les caractères, et tous les jours il s’en découvre que la réflexion n’avait pas prévus, et contre lesquels ni l’âme ni l’esprit n’ont été mis en garde.

Je suis arrivée hier chez madame de Vernon, et j’éprouvais, en entrant chez elle tous les genres d’émotion réunis : l’embarras mêlé à la plus profonde pitié, un intérêt véritable, joint à de l’incertitude sur les témoignages que j’en devais donner. J’avais su, par un courrier que j’envoyai à l’avance, que madame de Vernon était un peu mieux, mais toujours dans un grand danger : je montai les escaliers en tremblant ; madame de Mondoville vint au-devant de moi : « Ma mère était bien impatiente de vous voir, me dit-elle ; elle vous a écrit hier tout