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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/272

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TROISIÈME PARTIE.

j’étais retombé dans l’accès de rage où tu m’as vu lorsque j’accusais sans pitié madame de Vernon. Je me suis répété, pour me calmer, que tu ne braverais pas mon désespoir. Oh ! ma Delphine, je te verrai, je te verrai sans cesse. Demain, on m’assure que je serais en état de sortir, j’irai chez vous : votre porte pourrait-elle m’être refusée ? Mais d’où vient cette terreur ? ne connais-je pas ton cœur généreux, ton esprit éminemment doué de courage et d’indépendance ? Quel motif pourrait t’empêcher d’avoir pitié d’un malheureux qui t’est cher, et qui ne peut plus vivre sans toi ?

LETTRE II. — RÉPONSE DE DELPHINE À LÉONCE.

Quel motif pourrait m’empêcher de vous voir ? Léonce, des sentiments personnels ou timides n’exercent aucun pouvoir sur moi. Dieu m’est témoin que, pour tous les intérêts réunis, je ne céderais pas une heure, une heure qu’il me serait accordé de passer avec vous sans remords ; mais ce qui me donne la force de dédaigner toutes les apparences et de m’élever au-dessus de l’opinion publique elle-même, c’est la certitude que je n’ai rien fait de mal : je ne crains point les hommes tant que ma conscience ne me reproche rien ; ils me feraient trembler si j’avais perdu cet appui.

Nous sommes bien malheureux : oh ! Léonce, croyez-vous que je ne le sente pas ? Tout semblait d’accord, il y a quelques mois, pour nous assurer la félicité la plus pure. J’étais libre, ma situation et ma fortune m’assuraient une parfaite indépendance : je vous ai vu, je vous ai aimé de toutes les facultés de mon âme, et le coup le plus fatal, celui que la plus légère circonstance, le moindre mot aurait pu détourner, nous a séparés pour toujours ! Mon ami, ne vous reprochez point notre sort ; c’est la destinée, la destinée seule, qui nous a perdus tous les deux.

Pensez-vous que je ne doive pas aussi m’accuser de mon malheur ? Souvent je me révolte contre cette destinée irrévocable, je m’agite dans le passé comme s’il était encore de l’avenir ; je me repens avec amertume de n’avoir pas été vous trouver, lorsque cent fois je l’ai voulu. Le désespoir me saisit, au souvenir de cette fierté, de cette crainte misérable, qui ont enchaîné mes actions, quand mon cœur m’inspirait l’abandon et le courage.

S’il vous est plus doux, Léonce, quand vous souffrez, de son-