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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/292

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TROISIÈME PARTIE.

messe de renoncer à mon projet de départ : ce départ m’était devenu désormais impossible, et je ne voulais pas qu’il pût en douter un instant, après que ma décision était prise. Ah ! Louise, quelle reconnaissance il m’exprima ! Quel sentiment délicieux le bonheur de ce qu’on aime ne fait-il pas éprouver ! Je ne sais quelle terreur, créée par l’imagination, avait effrayé, troublé mon esprit depuis quinze jours. Pourquoi donc, pourquoi voulais-je me séparer de Léonce ? N’existe-t-il pas des sœurs qui passent leur vie avec leurs frères, des hommes dont l’amitié honore et console les femmes les plus respectables ? Pourquoi m’estimais-je si peu que de ne pas me croire capable d’épurer tous les sentiments de mon cœur, et de goûter à la fois la tendresse et la vertu ?

Dès que Léonce me vit résolue à ne pas me séparer de lui, il s’établit entre nous la plus douce intelligence ; il donna avec une grâce charmante des ordres tout autour de moi, plaça ma femme de chambre dans le cabriolet d’Antoine, qui était venu me rejoindre, et se mêla enfin de tous les détails avec la vivacité la plus aimable, comme s’il eût cru prendre ainsi possession de ma vie.

Après m’avoir fait remonter dans ma voiture, il me montra, par les soins les plus tendres, son inquiétude sur l’état de tremblement où j’étais ; il m’entoura de son manteau, ouvrit et referma les glaces plusieurs fois pour essayer ce qui pourrait me faire du bien ; je voyais en lui une activité de bonheur, une sorte d’impossibilité de contenir sa joie, qui me jetait dans une rêverie enchanteresse ; je me taisais, parce qu’il parlait ; j’étais calme parce que l’expression de ses sentiments était vive. Oh ! Louise ! personne, personne au monde, se faisant l’idée de cette félicité, ne renoncerait à l’éprouver !

Il fut convenu entre Léonce et moi que je dirais, à mon retour à Paris, que la fièvre m’avait saisie en route et m’avait obligée de revenir. J’écoutai ses projets pour nous voir chaque jour sans jamais causer la moindre peine à Mathilde ; ils étaient tels que je pouvais les désirer ; il revint souvent aussi à m’entretenir des ménagements qu’il aurait pour ma réputation.

« Léonce, lui répondis-je, ne faites désormais rien pour moi qui ne soit nécessaire à vous ; je ne suis plus à présent qu’un être qui vit pour celui qu’elle aime, et n’existe que dans l’intérêt et la gloire de l’objet qu’elle a choisi. Tant que vous m’aimerez, vous aurez assez fait pour mon bonheur ; mon amour-propre, mes penchants, mes désirs sont tous renfermés dans ma tendresse. Ne tourmentez ni ma conscience ni mon