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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/385

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DELPHINE.

très-vive que lui a causée la présence de son amie ; elle peut maintenant se passer de mes soins ; quoique mon amitié pour elle soit la plus tendre de toutes, j’ai besoin de me retrouver dans notre doux intérieur : la vie m’est pénible loin de mon époux et de mon enfant.

Madame d’Albémar a reçu une lettre de Léonce qui l’a un peu calmée, à ce que je crois, car au milieu de nous elle a eu quelque retour de cet esprit aimable et piquant qui la rend si séduisante. Je ne pourrai jamais te peindre la reconnaissance qui animait les regards de Léonce à chaque mot qu’elle disait. Depuis que nous craignons pour la vie de Delphine, j’ai pris pour M. de Mondoville un intérêt véritable ; chaque jour il m’a donné une preuve nouvelle de la sensibilité la plus profonde. Quand Delphine souffrait, Léonce se tenait attaché aux colonnes de son lit, dans un etat de contraction qui était plus effrayant encore que celui de son amie. Souvent il se plaçait devant elle en l’observant avec des regards si fixes, si perçants, qu’il pressentait tout ce qu’elle allait éprouver, et rendait compte de son mal aux médecins avec une sagacité, avec une sollicitude qui étonnait leur longue habitude de la douleur. As-tu remarqué l’autre jour l’art avec lequel il les interrogeait, son besoin de savoir, ses efforts pour écarter une réponse funeste ? J’étais convaincue, en le voyant, que si les médecins lui avaient prononcé que Delphine n’en reviendrait pas, il serait tombé mort à leurs pieds.

Depuis que tu nous as quittés, depuis que Delphine est presque convalescente, il invente mille soins nouveaux, comme l’amie la plus attentive ; quand Delphine s’endort, il rougit et pâlit au moindre bruit qui pourrait l’éveiller. S’il essaye de lui faire la lecture, et que ses yeux se ferment en l’écoutant, il reste immobile à la même place pendant des heures entières, repoussant de la main les signes qu’on lui fait pour l’inviter à venir prendre l’air, et contemplant en silence, avec des yeux mouillés de larmes, cette belle et touchante créature que la mort a été si près de lui enlever. Enfin, je ne puis m’empêcher d’excuser Delphine, en voyant comme elle est aimée.

La preuve touchante d’amitié que mademoiselle d’Albémar a donnée à sa belle-sœur lui a causé beaucoup de joie ; mais il m’a paru que M. de Mondoville était extrêmement troublé de l’arrivée de mademoiselle d’Albémar. Il s’imagine, je crois, qu’elle vient pour emmener Delphine ; et si j’en juge par quelques mots qu’il a dits, ce projet ne s’accomplira pas facilement. Cependant il serait peut-être nécessaire qu’elle s’éloignât