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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/431

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DELPHINE.

que j’ai les vertus qu’une bonne nature peut inspirer, mais je n’atteins pas à celles qu’on ne peut exercer qu’en triomphant de son propre cœur. Je suis, je ne me le cache point, dans un rang inférieur parmi les âmes honnêtes : les vertus qui se composent de sacrifices méritent peut-être plus d’estime que les meilleurs mouvements.

Dans cette circonstance, au moins, je n’hésiterai pas sur mon devoir : l’opinion me persécutera, les malheurs de tout genre tomberont sur moi ; je ne pourrais pas m’y dérober à présent, même en renonçant à Léonce ; mais je suis plus loin encore de vouloir y échapper en portant atteinte à la destinée de Mathilde. Que mes fautes perdent mon bonheur, mais qu’elles ne causent de peine à personne ! et que l’infortunée Delphine, seule punie de son amour, ne fasse jamais verser d’autres larmes que les siennes !

En rejetant le conseil que votre amitié me donne, je ne sens pas moins vivement tout ce que je vous dois, monsieur, pour vous être occupé de moi avec tant de sollicitude ; et c’est un souvenir qu’il m’est doux de joindre à tous ceux qui m’attachent pour la vie à vous et à votre Élise.

LETTRE XIX. — DELPHINE À MADAME DE LEBENSEI.
Paris, ce 4 septembre.

M. de Lebensei, ma chère Élise, en apprenant à Léonce qu’il m’avait écrit, m’a causé de nouveaux chagrins, quoique assurément son unique désir fût de me les épargner. Léonce, hier, est venu chez moi ; il était depuis trois jours à Paris sans avoir cherché à me voir : il fallait qu’il fût bien mécontent de lui-même, puisqu’il n’avait pas besoin de m’ouvrir son cœur. J’étais seule ; je vis sur sa physionomie, comme il entrait dans ma chambre, une vive expression d’inquiétude, et, sans me dire un mot ni de son absence ni de son retour, ses premières paroles furent pour me demander si j’avais reçu une lettre de M. de Lebensei, et si j’y avais répondu. Je fus très-troublée de cette question ; il insista. Ma réponse n’était point encore partie ; Léonce aperçut la lettre de votre mari et la mienne sur ma table, et me demanda de les lui montrer. Je m’y refusai d’abord ; il s’en plaignit avec une sorte de mécontentement sévère et triste qu’il m’est impossible de supporter ; je me levai, désespérée de céder à ce qui me semblait la nécessité, la vo-