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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/436

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QUATRIÈME PARTIE.

J’aimais le concert des louanges qui te suivait partout, il retentissait à mon cœur ; j’aimais les hommes de t’admirer, je les haïrais de te méconnaître ; mais quand nous ne parviendrions pas à te justifier, à prosterner à tes pieds et la haine et l’envie, ta présence serait encore le seul bien qui pût m’attacher à l’existence ! Ma Delphine, j’ai déjà souffert, mon âme est péniblement ébranlée ; prends garde de m’ôter les seules jouissances qui me restent ; je ne traînerais point la vie au milieu des douleurs, je me l’étais promis longtemps avant de t’avoir connue : crois-tu que ces jours de délices que j’ai passés à Bellerive m’aient appris à mieux supporter le malheur ? jamais un cœur de quelque énergie ne pourra supporter de te perdre après avoir été l’objet de ton amour.

Tu parles quelquefois d’un éloignement momentané : mon amie, comprends-tu toi-même ce que c’est qu’une année, ce que c’est que bien moins encore, pour des âmes telles que les nôtres ? Ah ! je n’ai pas en moi ce pressentiment de vie qui rend si libéral du temps ; si nous interrompons notre destinée actuelle, je ne sais ce qu’il arrivera, mais jamais, jamais, nous ne nous réunirons ! Delphine, frémis de ce présage, une voix au fond de mon cœur l’a prononcé.

Cessez donc de supposer un instant que notre séparation soit possible ; dans quelque lieu de la terre que vous allassiez, je vous y rejoindrais, n’en doutez pas : le mot de départ n’a plus aucun sens. Si vous quittez Paris, vous me forcez à m’éloigner de Mathilde, pour habiter les mêmes lieux que vous ; ce sera l’unique résultat du sacrifice dont vous persistez à me menacer. N’est-ce donc pas assez de ne vous voir presque jamais seule ? de n’avoir plus ces doux et longs entretiens qui perfectionnaient mon caractère en me comblant de bonheur ! J’ai dompté mon amour ; la terreur que m’a fait éprouver le danger où ma passion vous avait précipitée, cette terreur réprime encore les mouvements les plus impétueux de mon cœur ; c’est assez de ces peines, je n’en supporterai plus de nouvelles, et dans quelque lieu que vous soyez, vous m’y trouverez.

Je n’ai voulu, Delphine, vous implorer qu’au nom de mon amour, je veux que vous restiez pour moi ; mais l’intérêt même de votre réputation suffirait seul pour en faire la loi. Serait-il digne de vous de vous éloigner dans ce moment ? N’est-il pas certain qu’on répandrait que si vous aviez pu vous justifier, vous ne seriez pas partie ? Madame d’Artenas, en qui vous avez de la confiance, me disait hier encore que vous vous deviez de reparaître dans la société, et de triompher vous-même de vos