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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/517

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DELPHINE.

Ce n’est pas tout : l’opinion même du parti que vous choisiriez pourrait changer ; il y a dans la conduite privée des devoirs reconnus et positifs : on est toujours approuvé en les accomplissant, quelles qu’en soient les suites ; mais, dans les affaires publiques le succès est, pour ainsi dire, ce qu’était autrefois le jugement de Dieu. Les lumières manquent à la plupart des hommes pour décider en politique, comme elles manquaient autrefois pour prononcer en jurisprudence ; et l’on prend pour juge le succès, qui trompe sans cesse sur la vérité ; il déclare, comme autrefois, quel est celui qui a raison, par les épreuves du fer et du feu, par ces épreuves dont le hasard ou la force décident bien plus souvent que l’innocence et la vertu.

Si vous acquérez de l’influence dans votre parti, et qu’il soit vaincu, il vous accusera des démarches mêmes qu’il vous aura demandées, et vous ne rencontrerez que des âmes vulgaires qui se plaindront d’avoir été entraînées par leurs chefs. Les hommes médiocres se tirent toujours d’affaire ; ils livrent les hommes distingués qui les ont guidés aux hommes médiocres du parti contraire ; les ennemis même se rapprochent quand ils ont l’occasion de satisfaire ensemble la plus forte des haines, celle des esprits bornés contre les esprits supérieurs. Mais, au milieu de tous ces cultes d’amour-propre, de tous ces hasards de circonstance, de toutes ces préventions de parti, quand l’un vous injurie, quand l’autre vous loue, où donc est l’opinion ? À quel signe peut-on la reconnaître ?

Me sera-t-il permis de m’offrir à vous pour exemple ? Si j’ai bravé toutes les clameurs de la société où vous vivez, ce n’est point que je sois indifférent au suffrage public ; l’homme est juge de l’homme, et malheur à celui qui n’aurait pas l’espérance que sa tombe au moins sera honorée ! Mais il fallait ou suivre les fluctuations de toutes les erreurs de son temps et de son cercle, ou examiner la vérité en elle même, et traverser, pour arriver à elle, les divers nuages, que la sottise ou la méchanceté élèvent sur la route.

Dans les questions politiques qui divisent maintenant la France, où est la vérité ? me direz-vous. Le devoir le plus sacré pour un homme n’est-il pas de ne jamais appeler les armées étrangères dans sa patrie ? l’indépendance nationale n’est-elle pas le premier des biens, puisque l’avilissement est le seul malheur irréparable ? Vainement on croit ramener les peuples, par une force extérieure, à de meilleures institutions politiques ; le ressort des âmes une fois brisé, le mal, le bien, tout est égal ; et vous trouvez dans le fond des cœurs je ne sais quelle