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CINQUIÈME PARTIE.

ce que le désespoir m’inspire, ce sont les passions du cœur qui l’ont obtenu de moi.

Je suis fière cependant, reprit Delphine, d’immoler mon sort à Léonce ; je traverserai le temps qui me reste comme un désert aride, qui conduit du bonheur que j’ai perdu au bonheur que je retrouverai peut-être un jour dans le ciel. Je tâcherai d’exercer quelques vertus dans cet intervalle, quelques vertus qui me fassent pardonner mes fautes et soutiennent en moi jusque dans la vieillesse l’élévation de l’âme. Voilà tous mes desseins, voilà toutes mes espérances ! Ne discutez rien, n’ébranlez rien en me parlant, ma chère Henriette ; vous pourriez me faire beaucoup de mal, mais vous ne changeriez rien à mon sort : le déshonneur est sur le seuil de ce couvent ; si j’en sors, il m’atteint ; s’il m’atteint, Léonce me venge, son sentiment est altéré, je crains pour sa vie, et je perds son amour ! Grand Dieu ! qui oserait me conseiller de quitter cette demeure, fût-elle mon tombeau ? qui ne me retiendrait pas par pitié, si mes pas m’entraînaient hors de cette enceinte ? »

En l’écoutant, mademoiselle, je ne conservais qu’un espoir, c’est l’année de noviciat qui nous reste. Ne peut-on pas obtenir, pendant ce temps, de madame de Ternan qu’elle conserve Delphine dans sa maison, et qu’elle étouffe par tous ses moyens l’éclat de son aventure, sans exiger d’elle de prendre le voile ? Mais cet espoir, s’il existe encore, ne dépend point de Delphine, je ne devais donc pas risquer de lui en parler. Je l’embrassai en pleurant ; elle me chargea de vous écrire, et nous nous quittâmes sans que j’eusse tâché d’ébranler dans ce moment sa résolution.

Je vais laisser passer quelques jours, afin que Delphine ait le temps d’adoucir par sa présence les cruelles préventions de ses compagnes, et je retournerai chez madame de Ternan pour essayer ce que je puis sur elle. Vous aussi, mademoiselle, écrivez à Delphine ; servez-vous de mon ascendant pour la détourner de son projet, et consacrons nos efforts réunis à la sauver du malheur qui la menace.

LETTRE XXVI. — MADEMOISELLE D’ALBÉMAR À DELPHINE.
Montpellier, ce 18 avril.

Ma chère Delphine, je frémis de la lettre de madame de Cerlebe que je viens de recevoir ! Au nom du ciel ! retirez le