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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/559

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DELPHINE.

nement dans cette circonstance que le désir d’être utile à madame d’Albemar, et pour la seconde fois il la perdait.

Madame de Ternan était irritée à un degré excessif ; c’est une personne qu’on ne peut plus ramener, quand une fois son amour-propre est offensé. Madame d’Albémar voulut dire quelques mots sur ce qu’il serait injuste de la rendre responsable du caractère de M. de Valorbe, elle qui en avait été si cruellement victime. « Que vous soyez innocente ou non, madame, de son insolente folie, répondit madame de Ternan, il n’en est pas moins vrai qu’il veut vous enlever d’ici quand il aura recouvré sa liberté. Pour prévenir cette scène scandaleuse, il ne reste que deux partis à prendre : ou vous ferez perdre toute espérance à M. de Valorbe, en vous fixant dans cette maison pour toujours, ou vous voudrez bien en sortir ; et comme il ne faut pas que M. de Valorbe puisse se flatter que ses menaces m’ont fait peur, je ferai connaître la délibération de nos sœurs et ses motifs. » J’espérai un moment que le ton impérieux de madame de Ternan allait révolter Delphine, et qu’elle allait tout braver pour lui résister, car elle lui répondit avec beaucoup de dignité : « Vous abusez trop, madame, de mon malheur, et vous comptez trop peu sur mon courage. »

Dans ce moment on apporta une lettre de vous ; pardonnez-moi, mademoiselle, la peine que je vais vous causer ; ne vous accusez pas, cependant, car je suis sûre que cette lettre n’a rien changé à l’événement, il était inévitable. Madame de Ternan prit, avec sa hauteur accoutumée, votre lettre adressée à madame d’Albémar, et dit à Delphine : « Tant que vous êtes novice dans ma maison, madame, j’ai le droit de lire vos lettres : la voici, continua-t-elle après l’avoir parcourue ; on y parle seulement de mon neveu et de l’heureux accouchement de sa femme. » Delphine tressaillit au nom de Léonce, et la main qu’elle tendit pour recevoir la lettre tremblait extrêmement. Vous savez que vous lui mandiez que Mathilde était accouchée d’un fils, et que sans doute elle se portait bien, puisqu’elle était décidée à nourrir son enfant ; vous ajoutiez que Léonce paraissait sentir vivement le bonheur d’être père.

Delphine baissa son voile pour lire cette lettre, afin de cacher son trouble : je lui demandai de la voir ; et comme elle me la donnait, sa main souleva par hasard ce voile, et nous vîmes baigné de pleurs ce visage céleste, que toutes les impressions de l’âme, même les plus douloureuses, embellissent encore. Elle rougit extrêmement quand elle s’aperçut que son émotion, dans une pareille circonstance et pour un semblable sujet, avait