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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/586

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SIXIÈME PARTIE.

dont les accents ne sortiront jamais de mon souvenir : « Mathilde est morte, Delphine ; pouvez-vous être à moi ? — Non, lui répondit-elle ; mais je puis mourir ! » Et elle tomba par terre sans mouvement.

Léonce la considéra quelque temps avec un regard fixe et terrible ; puis, se retournant vers moi, il s’appuya sur mon bras et s’assit avec un calme apparent, que démentait l’affreuse altération de son visage ; il se mit à me parler alors, mais il m’était impossible de le comprendre, car ses dents frappaient les unes contre les autres avec une grande violence, et ses idées se troublaient tellement, qu’il n’y avait plus aucun sens dans ce qu’il disait. Delphine, revenant à elle, fit demander à l’abbesse la permission d’entrer dans la chambre extérieure. Madame de Ternan, effrayée de l’arrivée de son neveu, n’osa ni se montrer ni refuser ce que lui demandait Delphine. Mon malheureux ami n’entendait déjà ni ne voyait plus rien ; lorsqu’on ouvrit la grille à Delphine, elle se précipita dans l’instant aux genoux de Léonce, et tint ses mains glacées dans les siennes, en lui prodiguant les noms les plus tendres. Léonce alors, sans revenir tout à fait à lui, reconnut cependant son amie, et, la prenant dans ses bras, il la pressa sur son cœur avec un mouvement si passionné, des regards tellement enthousiastes, qu’involontairement je levai les mains au ciel pour le prier de les réunir tous les deux ! Peut-être m’a-t-il exaucé ! Léonce serrant dans ses mains tremblantes les mains tremblantes de Delphine, et déjà dans le délire de la fièvre qui ne l’a point quitté depuis, lui disait : « D’où vient donc, mon amie, que tu m’apparais couverte de ce voile ? quel présage m’annonce cet habit lugubre ? n’est-ce pas avec des parures de fête que notre hymen doit être célébré ? Oh ! dégage-toi de ces ombres noires qui t’environnent, viens à moi vêtue de blanc, dans tout l’éclat de ta jeunesse et de ta beauté ; viens, l’épouse de mon cœur, toi sur qui je repose ma vie. Mais pourquoi pleures-tu sur mon sein ? tes larmes me brûlent ; quelle est la cause de ta douleur ? N’es-tu pas à moi, pour jamais à moi, à moi !… » Sa voix s’affaiblissait toujours plus ; en répétant ces paroles déchirantes, il pencha sa tête sur mon épaule, et perdit absolument connaissance.

Delphine me reconnut alors, et me dit : « Vous le voyez, je lui donne la mort : je ne sais quel être je suis ; je porte le malheur avec moi, je ne fais rien que de funeste. Sauvez-le, sauvez-le ! — Écoutez-moi, lui dis-je, vos vœux ne sont point irrévocables ; ils peuvent être brisés, ils le seront. » Ces paroles la