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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/619

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DELPHINE.

leur qu’on redoute, c’est la douleur qui nous atteint, et l’être qui nous punit sait où porter ses coups. Mais, ajouta-t-elle en versant un torrent de pleurs, si vous sauvez mon ami, si vous signez sa délivrance, votre unique enfant vivra, et bénira le nom de son père jusqu’à son dernier jour. » À ces mots, la femme du juge, sans parler, suppliait son mari de ses regards, de ses mains élevées, demandant ainsi la grâce de Léonce, presque sans s’apercevoir elle-même de ce qu’elle faisait. Le mari, regardant tour à tour Delphine et sa femme, dit : « Non, je ne refuserai rien pendant que mon fils est en danger ; non, quoi qu’il puisse m’en arriver, madame, vous avez vaincu.» Prenant la plume, il écrivit l’ordre de mettre en liberté M. de Mondoville. Delphine n’osait ni respirer ni parler, de peur que le moindre mouvement ne changeât quelque chose à la résolution inespérée du juge. Il lui dit en lui remettant l’ordre : « Je vous donne, madame, la vie de M. de Mondoville ; mais ne tardez pas à le faire partir : si un commissaire de Paris venait ici, je n’y serais plus le maître ; je lui répéterais sans doute, comme vous me l’avez attesté, comme je le crois, que M. de Mondoville n’a point porté les armes ; mais ce serait peut-être en vain alors que je m’efforcerais encore de le sauver. Vous avez su toucher mon cœur, madame, par je ne sais quelle éloquence, quelle sensibilité surnaturelle. C’est à vous que votre ami doit la vie, jouissez-en tous les deux, et… — Priez pour mon fils, » ajouta la mère.

Delphine, dont l’émotion rendait les paroles à peine intelligibles, reçut l’ordre à genoux, et, pressant sur son cœur la main secourable de son bienfaiteur : « Que je ne meure pas, lui dit-elle, homme généreux, sans avoir fait sentir à votre âme un peu du bonheur que je lui dois ! adieu. » Elle courut à la prison, craignant de perdre une seconde, ralentissant quelquefois ses pas, pour ne pas attirer l’attention de ceux qui la regardaient, mais ne pouvant calmer la frayeur que lui causait le danger du moindre retard. En entrant dans la chambre de Léonce, elle lui tendit l’ordre, et resta quelques instants sans pouvoir prononcer un seul mot. Léonce lut l’ordre, et, profondément attendri, il répéta plusieurs fois à Delphine : « C’est toi qui m’arraches à la mort ! que ma vie sera heureuse avec toi ! » Quand elle eut repris ses forces, elle se hâta d’expliquer qu’il fallait partir à l’instant, que le moindre délai pouvait être funeste, et pressa le geôlier, avec une ardeur passionnée, d’aller remplir une dernière formalité, nécessaire pour sortir de prison et de la ville : il partit.

Léonce alors se livra à tous les projets de bonheur les plus