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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/621

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DELPHINE.

ne sortirait pas de prison, et serait jugé. À cette nouvelle, Léonce détourna la tête, ne voulant point montrer son émotion. Delphine, levant les yeux au ciel, s’avança d’un pas assez ferme, pour demander aux deux hommes envoyés s’il ne lui serait pas permis de voir le commissaire : « Non, madame, lui répondirent-ils, vous ne pouvez pas sortir ; vous êtes en arrestation ici jusqu’à demain. » Léonce tendit alors la main à Delphine, avec un sentiment qui n’était pas sans quelque douceur ; les stupides témoins de cette scène voulurent rassurer Delphine sur son propre sort, croyant qu’il était l’objet de son inquiétude, et lui dirent qu’elle pouvait être tranquille, qu’elle sortirait au moment même où le jugement de M. de Mondoville serait exécuté. À ces affreuses paroles, Delphine fut près de succomber ; mais, prenant sur elle, elle dit seulement à voix basse : « En est-ce assez, mon Dieu ! » et demanda ensuite à ceux qui venaient de parler, si un étranger qui l’avait accompagnée, M. de Serbellane, ne devait pas venir la voir. « Il nous a chargés de vous dire, lui répondirent-ils, qu’il serait ici dans une heure, quand le tribunal, qui est assemblé maintenant, aura prononcé. Il fait ce qu’il peut pour vous être utile ; mais à présent que le commissaire de Paris est arrivé, cela ne se passera pas comme ce matin. » Léonce, assez vivement irrité, les interrompit en leur disant : « Je ne suis pas condamné à votre présence, laissez-moi. » Ils murmurèrent inintelligiblement quelques paroles d’humeur, mais le regard de Léonce leur en imposa, et ils sortirent. Léonce alors, se rapprochant de Delphine, la serra dans ses bras avec l’émotion la plus passionnée ; elle ne répondait à rien, n’exprimait rien, et semblait tout entière renfermée en elle-même. « Dieu ! prononça-t-elle à demi-voix, Dieu, qui m’avez abandonnée ; préservez-moi de sentiments impies ! que je supporte ce cruel jeu de la destinée sans cesser de croire en vous ! La mort, après tout, la mort !… Eh bien, mon ami, dit-elle en se jetant dans les bras de Léonce, nous la recevrons ensemble ; c’est un reste de pitié de la Providence envers nous. Pressons nos cœurs l’un contre l’autre, que leurs derniers battements cessent au même instant ; le seul mal au delà des forces humaines, c’est de vivre ou de mourir séparés. »

Léonce, inquiet de la résolution de Delphine, voulut lui parler de ses devoirs, de son sort après lui : « Je te défends de m’entretenir sur ce sujet, interrompit-elle ; ignore mes desseins, quels qu’ils soient, ne m’interroge plus, et passons ces dernières heures dans la confiance et l’abandon, qui peuvent