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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/628

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CONCLUSION.

Léonce, oublia quel don funeste il avait fait à madame d’Albémar ; elle suivit le geôlier, et il la quitta après lui avoir montré la chambre dans laquelle elle pouvait entrer. En travers de la porte était le cercueil du malheureux prisonnier mort pendant la nuit ; et des quatre cierges placés au coin de ce cercueil, deux brûlaient encore, et mêlaient leurs tristes clartés à celle du jour. Delphine frémit à cette vue, et recula ; cependant elle voulut avancer, et dit : « Pourquoi donc aurais-je peur de la mort ? n’est ce pas elle que je viens chercher ? d’où vient que son image m’effraye déjà ? » Il fallait, pour entrer, passer près du cercueil placé devant la porte ; la robe de Delphine s’y accrocha, et, son effroi redoublant, elle tomba à genoux dans la chambre, en face du lit encore défait d’où l’on avait enlevé le corps de celui qui venait de mourir. On voyait ses habits épars, un livre ouvert, une montre qui allait encore, tous les détails de la vie de l’homme, excepté l’homme même, que la bière renfermait ! Un tel spectacle aurait frappé l’imagination dans les circonstances les plus calmes, il troubla presque entièrement la tête de Delphine ; elle ne savait plus si son amant vivait encore, elle l’appela plusieurs fois ; et, dans un moment de convulsion et de désespoir, elle ouvrit la bague qui renfermait le poison, et prit rapidement ce qu’elle contenait. À peine eut-elle achevé cette action désespérée, qu’elle se prosterna contre terre ; après y être restée quelques instants, elle se releva plus calme, mais absorbée dans une méditation profonde.

« Ô mon Dieu ! dit-elle alors, qu’ai-je fait ? me suis-je rendue coupable ? ne puis-je plus espérer votre miséricorde ? Il fallait le suivre jusqu’au supplice, je lui devais cette dernière preuve de l’amour qui l’a perdu : en aurais-je eu la force, sans la certitude de mourir ? Je pouvais me fier à la douleur, avec le temps elle m’aurait tuée ; mais ce temps redoutable, ô mon Dieu ! m’ordonniez-vous de le supporter ? ces tourments étaient-ils nécessaires ? et les anges qui vous entourent ne se réjouiront-ils pas de les voir abrégés ? S’il me restait un lien sur cette terre, si j’avais un père dont je pusse consoler la vieillesse, je vivrais, je le crois, un devoir si sacré me l’aurait commandé ; mais l’infortuné qui va périr était mon unique ami, et vous me l’ôtez ! Ô mon Dieu ! s’écria-t-elle en se jetant à genoux, le visage tourné vers le ciel, on m’a souvent dit que vous ne pardonniez pas le crime que je viens de commettre : le trouble, l’égarement m’y ont conduite ; est-il vrai qu’à présent vous soyez inflexible ? suis-je plus criminelle que tous ceux qui ont été durs envers leurs semblables ? et cependant il en est tant, que sans doute34