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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/63

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DELPHINE.

me dit : « Madame, croyez-vous que la froideur de mademoiselle de Vernon puisse rendre heureux un homme d’une sensibilité si véritable ? » Je ne sais ce que j’allais lui répondre, lorsque M. de Serbellane, se donnant à peine le temps de saluer madame de Vernon, me pria d’aller avec lui dans le jardin. Il y a tant de réserve et de calme dans les manières habituelles de M. de Serbellane, que je fus troublée par cet empressement inusité, comme s’il devait annoncer un événement extraordinaire ; et craignant quelque malheur pour Thérèse, je suivis son ami en quittant précipitamment M. Barton. « Elle arrive dans huit jours, me dit M. de Serbellane ; vous n’avez plus le temps de lui écrire ; il faut s’occuper uniquement d’écarter d’elle, s’il est possible, les dangers de cette démarche. — Ah ! mon Dieu, que m’apprenez-vous ? lui répondis-je. Comment ! vous n’avez pu réussir… — J’en ai peut-être trop fait, interrompit-il, car je crois entrevoir que l’inquiétude qu’elle éprouve sur mes sentiments est la principale cause de ce voyage. Je la rassurerai sur cette inquiétude, ajouta-t-il, car je lui suis dévoué pour ma vie ; mais quand vous verrez M. d’Ervins, vous comprendrez combien je dois être effrayé. Le despotisme et la violence de son caractère me font tout craindre pour Thérèse, s’il découvre ses sentiments ; et quoiqu’il ait peu d’esprit, son amour-propre est toujours si éveillé, que dans beaucoup de circonstances il peut lui tenir lieu de finesse et de sagacité. » M. de Serbellane continua cette conversation pendant quelque temps, et j’y mettais un intérêt si vif, qu’elle se prolongea sans que j’y songeasse ; enfin je la terminai en recommandant Thérèse à la protection de M. de Serbellane. « Oui, lui dis-je, je ne craindrai point de demander à celui même qui l’a entraînée, de devenir son guide et son frère dans cette situation difficile. Thérèse est plus passionnée que vous, elle, vous aime plus que vous ne l’aimez ; c’est donc à vous à la diriger : celui des deux qui ne peut vivre sans l’autre est l’être soumis et dominé. Thérèse n’a point ici de parents ni d’amis, veillez sur elle en défenseur généreux et tendre ; réparez vos torts par ces vertus du cœur qui naissent toutes de la bonté. » Je, m’animai en parlant ainsi, et je posai ma main sur le bras de M. de Serbellane ; il la prit et l’approcha de ses lèvres avec un sentiment dont Thérèse seule était l’objet. M. Barton, dans ce moment, entrait dans l’allée ou nous étions ; en nous apercevant, il retourna très-promptement sur ses pas, comme pour nous laisser libres. Je compris dans l’instant son idée, et je l’atteignis avant qu’il fût rentré dans le salon. « Pourquoi vous éloignez-vous de nous ?