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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/150

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tant de grands euphorbes, solidement fixés à la pierre, et qui trouvaient à se nourrir où pas une autre plante n’aurait pu végéter. Ailleurs, le versant était paré d’un manteau de mimosas atteignant presque au sommet. Enfin, doux spectacle pour moi qui en étais privé depuis si longtemps, des troupeaux de vaches paissaient dans les plis de la montagne, dont ils animaient la solitude, et m’offraient en perspective des flots de lait, des masses de beurre.

Mais où l’on avait la plus belle vue, c’était au nord, du côté du massif montagneux qui arc-boute la chaîne, en face du Roubého ; massif compact, d’où les vents, dont il est le séjour, roulent du faîte des pentes abruptes et des pics solitaires, se grossissent dans le Marenga Mkhali, hurlent à travers l’Ougogo, et s’abattent dans l’Ounyamouézi avec la puissance de l’ouragan. C’est aussi la demeure des nuées, sources des eaux cristallines qui vont égayer de leurs murmures les vallons feuillus, et enrichir le district populeux du Mpouapoua.

On se sent renaître sur ces hauteurs rafraîchies par la brise ; on redevient fort en buvant cet air pur, en se repaissant de la vue de ces plateaux, non moins verts que des pelouses, de ces sommets arrondis, de ces vallées dont les retraites séduiraient un ermite ; de ces ravins profonds, de ces gorges imposantes, où règne une lueur crépusculaire, de ces abîmes aux parois déchirées, de ces roches pittoresques, de cet ensemble dont les grandes lignes enserrent tout ce que la nature a de sauvage et de poétique.

Je rapportai de ma course une faim dévorante, et je fus heureux de trouver les bonnes choses que produit la localité. Néanmoins, si le laitage du Mpouapoua reste dans notre souvenir reconnaissant, il ne nous fait pas oublier que ce district est odieusement infesté de perce-oreilles. C’étaient par milliers qu’ils se comptaient dans ma tente ; mon lit en renfermait des centaines, mes vêtements des cinquantaines, et ils étaient par vingtaines sur ma tête et sur mon cou. La plaie des sauterelles, celle des poux et des puces, ne sont rien en comparaison de ces perce-oreilles maudits. Non pas qu’ils mordent ou qu’ils irritent la peau ; mais leur aspect et leur nombre est quelque chose de si horrible que c’est à devenir fou, rien que d’y penser. Qui ne se rappelle l’affreuse aventure de Speke[1] ? Une vigilance continue m’a seule préservé, je le crois, d’une pareille calamité.

Après les perce-oreilles, venaient comme importance, et comme

  1. Voir Burton, Voyage aux Grands Lacs, page 435.