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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/187

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Si je l’avais eu, je l’aurais, à ce qu’il me semble, autrement estimé que ne l’a fait mon prédécesseur[1]. Que de fois j’ai soupiré après un pareil aide, lorsque mon éloquence échouait contre l’apathie de mes hommes ! J’étais obligé de recourir aux menaces, voire de frapper à droite et à gauche pour réveiller soldats et pagazis. Une tirikéza devenait-elle nécessaire, il me fallait en donner l’ordre ; personne ne l’eut demandée, si importante qu’elle fût ; bien loin de là ; j’avais à couper court aux paroles de Bombay, qui plaidait le repos, et à faire claquer mon fouet pour chasser du camp toute la bande.

Je reçus donc le guide assez durement, et lui reprochai la sottise qu’il avait de ne pas songer qu’à l’heure des gratifications, heure qui allait bientôt sonner, je me rappellerais qu’au lieu de m’obéir il avait écouté l’avis des autres.

« Combien les porteurs vous ont-ils donné, lui demandai-je, pour faire de petites marches et de longues haltes ?

— Pas un n’y a pensé, dit-il. Je n’ai rien reçu d’aucun d’eux.

— Et combien d’étoffe pourriez-vous avoir de moi, si j’étais satisfait ?

— Oh ! beaucoup, beaucoup !

— Reprenez donc votre charge ; et d’ici à l’Ounyanyembé, faites preuve de bon vouloir. »

Il promit solennellement de ne plus écouter que mes ordres, de marcher aussitôt que je le voudrais, de ne se reposer que quand je le trouverais nécessaire.

On se mit en route ; et, fidèle à sa promesse, le Kirangozi ne s’arrêta qu’au Roubouga-Central, au grand émoi de toute sa suite, qui le croyait devenu fou : près de dix-neuf milles (plus de trente kilomètres) sans faire de halte ; lui qui n’avait jamais fait seize milles sans couper la marche en deux[2].

  1. Voir dans le Voyage aux grands lacs, page 128, le portrait de cet homme remarquable, (Note du traducteur.)
  2. Peut-être y avait-il dans ce dernier cas plus de sagesse que le maître ne le supposait. « Le pagazi, dit Burton, aime mieux avoir à franchir l’obstacle à la fin qu’au début de la marche, et fait un suprême effort pour gravir la montée qui, sans cela, commencerait l’étape suivante. Il préfère, à celle qui est au départ, la jungle qui forme la station finale, parce qu’il y trouve à la fois sécurité et fraîcheur. » On Le fait donc arriver plus facilement que partir, surtout que marcher pendant les heures brûlantes du jour. « Vers huit heures du matin, si l’on découvre une place ombreuse, ou un étang, les fardeaux sont déposés ; on se couche ou l’on flâne, on jase, on boit, on fume, et l’on discute avec ardeur l’endroit où l’arrêt sera définitif. Si la marche se prolonge jusqu’à midi, la caravane s’attarde, se débande et souffre cruellement ; la chaleur du sol brûle les pieds nus, les épines arrachent des cris douloureux, les soldats s’arrêtent, les por-