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religion, sa longue robe, sa tunique, ses babouches et son yatagan. Toutes les railleries des indigènes n’ont pu le faire changer de coutumes. À son tour, il a peu influé sur le milieu où je le rencontre ; le pays n’est pas devenu oriental, ainsi que nous l’entendons ; l’aspect en est à demi africain, la ville n’est qu’à moitié arabe.

Pour le nouveau débarqué, les Omanis qu’il trouve à Zanzibar forment un sujet digne d’étude. Il y a dans leurs actes un certain empressement que j’admire. Presque tous sont voyageurs ; ce sont eux qui vont à la recherche de l’ivoire. On ferait, avec leurs aventures, de gros volumes de récits palpitants ; et ils doivent aux obstacles vaincus, aux périls surmontés, un air de résolution et de confiance en eux-mêmes qui n’est pas dépourvu de grandeur, quelque chose de fier et de hardi qui inspire le respect.

Quant à leurs métis, je n’ai pour eux que du mépris. Ils ne sont ni blancs ni noirs, ni bons ni mauvais. Gens sans caractère, ne méritant ni l’admiration, ni la haine ; gens à double face, rampant devant ceux qui les dominent, cruels pour les malheureux qu’ils tiennent sous leur joug. Chaque fois que j’ai vu un misérable nègre, à demi mort de faim, on m’a toujours dit que c’était l’esclave d’un métis. Souple et hypocrite, lâche et bas, fourbé et servile, cet homme, toujours prêt à tomber à genoux devant un riche, est sans pitié pour le pauvre. Plus son serment est solennel, plus il vous fait de mensonges ; et cette race d’Arabes africanisés, race d’avortons syphilitiques, aux yeux chassieux, au teint pâle, est fort nombreuse.

Le Banian est trafiquant de naissance ; c’est le bénef incarné ; l’argent afflue dans ses poches aussi naturellement que l’eau suit une pente rapide. Nulle conscience, nul remords ne l’empêcha de tromper son semblable ; il surpasse le Juif et n’a de rival que le Parsi ; auprès de lui, l’Arabe est un enfant.

Il faut le voir travailler de toutes ses forces, de tout son corps, de toute son âme pour extorquer à un indigène la plus petite fraction d’une piécette. La dent qui lui est offerte semble peser deux frasilahs (trente-cinq kiles), c’est au moins ce qu’indique la balance. Le vendeur déclare qu’elle pèse davantage ; notre Banian affirme que l’autre n’y entend rien, et jure que la balance est fausse. Il fait appel à toute son énergie, et soulève la défense : « Mais c’est une plume ! à peine une frasilah ! » L’indigène se récrie : « Voyons ! dit le Banian, il faut en finir ; prends ton