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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/285

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petit morceau d’écorce où était un peu de feu qui devait leur servir à enfumer les abeilles.

Le jour avait disparu, l’azur du ciel s’était changé en un gris sombre ; la lune commençait à paraître, et faisait ressembler la rivière à une ceinture d’argent. Les grenouilles rauquaient leurs mugissements au bord de l’eau. L’aigle-pêcheur, posé à la cime des grands arbres, jetait son cri funèbre, qui tintait comme un glas. Les élans, guetteurs fidèles, avertissaient de leurs grondements sonores les hordes remisées dans les bois, où se glissaient cauteleusement des formes silencieuses.

Tout cela au dehors. Dans notre enclos d’épines, que ses chevaux de frise rendaient inattaquable, régnaient la sécurité et la joie ; partout le confort, les éclats de rire et la bombance. Autour de chaque foyer des gens accroupis et radieux ; l’un attaquant à pleine bouche une tranche savoureuse ; un autre suçant la moelle d’un fémur de zèbre. Celui-ci faisant rôtir un quartier de venaison ; celui-là mettant sur la braise une énorme côte. Leurs voisins remuant la bouillie à toute vitesse, ou veillant d’un air attentif sur l’étuvée qui mijotait, ou regardant bouillir la soupe, ou attisant les feux, dont la clarté mobile dansait vigoureusement sur les formes nues, qu’elle faisait étinceler, empourprait la tente, qui se dressait au milieu du boma, comme le sanctuaire de quelque divinité mystérieuse, et, allant se perdre au fond des arbres qui nous couvraient de leurs branches, évoquait dans la feuillée des ombres fantastiques. Scène toute sauvage, mais d’un effet puissant.

Toutefois, mes hommes s’inquiétaient peu des ombres évoquées, des lueurs rutilantes, du clair de lune, des sanctuaires mystérieux. Les exploits du jour et le festin, qui en était la conséquence, absorbaient toutes leurs facultés. L’un d’eux racontait comment il s’était approché d’un sanglier qu’il avait cru tenir ; comment l’animal l’avait découvert, et le chargeant tout à coup, l’avait forcé de jeter là son fusil et de grimper sur un arbre. L’allure de la bête, sa fureur, son terrible grognement, étaient rappelés par une mimique dont la verve et l’exactitude provoquaient des rires à ébranler la voûte céleste. Un autre avait tué un bufflion ; un troisième avait abattu un caama ; et chacun d’en relater la poursuite et la mort.

À leur tour, les Vouakanongo firent le récit de notre rencontre, et s’étendirent longuement sur la prodigieuse quantité de miel que l’on pouvait trouver dans ces bois, dont la plupart des grands mtondous renfermaient des ruches