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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/32

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bientôt la preuve, qu’en l’absence de matière légitime, les Européens de Zanzibar saisissaient le plus petit brin de médisance pour le faire servir au divertissement de leurs soirées.

Il nous fut présenté, en guise de rafraîchissements, des cigares et une espèce de vin affaibli. Non pas que le thé et les gâteaux manquassent dans la maison, mais parce que, je suppose, c’est l’habitude d’un Européen zanzibarisé de mettre dans son vin un peu d’eau de Seltz, comme stimulant aux fins caquetages que, sous cette piquante influence, il débite à ses auditeurs.

Tout cela était fort distingué, j’en conviens. Cependant jamais soirée ne m’avait paru plus triste, lorsque ayant pitié de moi, le docteur Kirk m’appela pour me faire admirer une superbe carabine à éléphant que lui avait donnée le gouverneur de Bombay. J’eus alors à écouter l’éloge de cette arme précieuse, de sa justesse, de sa puissance ; enfin des récits de chasse, et divers épisodes du voyage au Zambèse, fait avec Livingstone.

« À propos de ce dernier, dis-je à M. Kirk, où pensez-vous qu’il soit maintenant ?

— Difficile de vous répondre. Il est peut-être mort ; vous savez qu’on l’a dit ; mais à cet égard on n’a rien de positif. Tout ce que je peux affirmer, c’est qu’il y a plus de deux ans qu’on n’a eu de ses nouvelles. Je crois cependant qu’il vit toujours. Nous lui envoyons continuellement différentes choses ; une petite caravane est même pour lui en ce moment à Bagamoyo. Il devrait bien revenir ; le voilà qui vieillit, et s’il mourait, ses découvertes seraient perdues. Il ne tient pas de journal, ne prend pas d’observations, ou très-rarement ; il se borne à mettre sur une carte une note ou un signe que personne ne connaît. Assurément, s’il vit encore, il devrait bien revenir, et céder la place à quelqu’un de plus jeune.

« Quel homme est-il ? demandai-je, profondément intéressé.

— En général très-difficile à vivre. Je n’ai jamais eu à me plaindre de lui ; mais que de fois je l’ai vu s’emporter contre les autres ! Cela vient, je présume, de ce qu’il déteste avoir des compagnons.

— J’ai oui dire qu’il était fort modeste, repris-je. Est-ce vrai ?

— Oh ! il sait parfaitement ce que valent ses découvertes ; personne ne le sait mieux que lui. Ce n’est pas un ange, pas tout à fait, ajouta le consul en riant.

— Mais supposez que je le rencontre dans mes voyages, ce qui, après tout, ne serait pas impossible, quelle pourrait être sa conduite à mon égard ?