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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/338

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Demain ! Ah ! le grand jour est venu ; nous pouvons rire et chanter, et prendre ces accents de triomphe. Nous avons eu de cruelles souffrances, des instants de colère, les uns contre les autres, quand l’épreuve nous avait aigris ; mais qui se le rappelle ? Tous les visages sont radieux ; pas un qui n’exprime le bonheur que nous avons tous mérité.

Nous nous sommes arrêtés à midi pour collationner et pour prendre un instant de repos. On m’a montré les collines d’où l’on aperçoit le Tanganîka ; elles bornent, au levant, la vallée du Liouké. À cette vue, je n’ai pas pu me contenir. Même cette courte halte m’agaçait ; j’étais agité et mécontent. Remis en route, j’ai éperonné mes hommes en leur disant que demain viendrait la récompense. Ils auront du poisson et de la bière tant qu’ils pourront en avaler.

Notre passage à la hauteur d’un groupe de bourgades a mis tous les gens en émoi. J’ai envoyé de mes hommes pour les rassurer. Ils sont alors venus à notre rencontre, et nous ont souhaité la bienvenue. Cet accueil si nouveau, si différent de celui des Vouavinza et des affreux Vouahha, exacteurs de tribut, nous a profondément touchés ; mais nous n’avions pas le temps de nous livrer à cette joie. Une force irrésistible m’entraîne ; une pensée me domine : Est-il encore là ? Sait-il que j’arrive ? Va-t-il s’enfuir ?

Quel beau pays que l’Oukaranga ! Des pentes tapissées de verdure, surmontées de huttes coniques, avec de grands toits de chaume. Des collines aux flancs variés ; ici, mis en culture ou en pâturage ; là-bas, revêtus de grands arbres ; ailleurs couverts de hameaux. La contrée ressemble un peu au Maryland.

Nous passons le Mkouti, un charmant ruisseau ; la berge est escaladée, et nous arpentons la forêt comme des gens qui ont fait un exploit dont ils sont fiers. Il y a neuf heures que nous marchons ; le soleil décline rapidement ; et nous ne paraissons pas fatigués.

Nous voici tout près de Niamtaga ; on y bat le tambour. Les habitants se sauvent dans les bois ; ils nous prennent pour des Rouga-Rouga, les brigands de Mirambo, qui, après avoir vaincu les Arabes de l’Ounyanyembé, vont attaquer ceux de l’Oujiji. Le roi lui-même s’enfuit, et tout le monde, hommes, femmes et enfants, le suivent épouvantés. Nous entrons dans le village, dont nous prenons possession. J’y fais dresser ma tente, chacun de nous s’y établit. Enfin le bruit se répand que nous sommes des