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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/343

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Nous descendîmes l’escarpement, ayant devant nous la vallée du Liouké. Vers onze heures nous avions gagné l’épais ruban de matétés qui borde la rive. Le gué fut traversé, — une eau transparente, — puis la seconde bordure, et nous nous trouvâmes au milieu des jardins de l’Oujiji, vraies merveilles de végétation. Trop ému pour saisir les détails, j’ai vu seulement de gracieux palmiers, des terrains bien tenus, encombrés de légumes ; et de petits villages avec de frêles palissades de roseaux.

La nouvelle de notre arrivée gagnera-t-elle Oujiji avant que nous soyons aperçus ? Cette inquiétude nous fait doubler le pas.

Nous reprenons haleine au bord d’un petit ruisseau ; et nous escaladons le versant d’une chaîne, dont le roc est nu, — la dernière des myriades de ses pareilles que nous avons eu à gravir, — chaînette qui nous empêchait de voir le lac dans son immensité.

Nous voilà au sommet ; nous gagnons la pente occidentale. Arrêtons-nous : le port d’Oujiji est à moins de cinq cents mètres, dans un bouquet de verdure.

La distance, les forêts, les montagnes sans nombre, les épines qui nous ont mis en sang, les plaines arides qui ont brûlé nos pieds, le ciel en feu, les marais, les déserts, la faim, la soif, la fièvre, ont été vaincus. Notre rêve est réalisé !

« Déployez les drapeaux et chargez les armes.

— Aï, Ouallah ! aï Ouallah bana ! répondent des voix ardentes.

— Un, deux, trois !… »

Près de cinquante fusils rugissent. Leur tonnerre, pareil à celui du canon, produit son effet dans le village.

« Kirangozi, portez haut la bannière de l’homme blanc. Qu’à l’arrière-garde flotte le drapeau de Zanzibar. Serrez la file, et que les décharges continuent jusque devant la maison du vieux Mousoungou.

« Vous m’avez souvent dit que vous flairiez le poisson du Tanganîka ; aujourd’hui je le sens moi-même. Le poisson, la bière et un long repos vous attendent. En marche ! »

Nous n’avions pas fait deux cents mètres que la foule se pressait à notre rencontre. La vue de nos drapeaux faisait comprendre qu’il s’agissait d’une caravane ; mais la bannière étoilée qu’agitait fièrement Asmani, dont le visage n’était qu’un immense sourire, produisit dans la foule un moment d’incertitude : c’était la première fois qu’elle paraissait dans le pays. Néanmoins, parmi les spectateurs, ceux qui avaient été à Zanzibar l’avaient vue flotter