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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/356

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— M. Bennett vous a dit de me chercher, de me trouver, de me secourir ? Je ne m’étonne plus de l’éloge que vous m’en avez fait hier.

— Certes, repris-je, il est tel que je vous l’ai dépeint : c’est un homme ardent, généreux, loyal ; je le répète avec orgueil.

— Je lui suis très-obligé, dit Livingstone ; je me sens fier de penser que vous autres, Américains, vous me portez un si vif intérêt. Vous êtes venu fort à propos ; ce Shérif m’a tout pris ; je me voyais à la mendicité. Je voudrais pouvoir exprimer ma gratitude à M. Bennett, lui dire ce que j’éprouve ; mais si les paroles me manquent, je vous en prie, ne m’en croyez pas moins reconnaissant.

— À présent que cette petite affaire est traitée, si nous déjeunions, docteur ? Permettez-vous que mon cuisinier se charge du repas ?

— Certainement. Vous m’avez rendu l’appétit, et ma pauvre Halimah n’a jamais pu distinguer le thé du café. »

Toujours exact, Férajji avait d’excellent thé et des gâteaux fumants à nous servir, des espèces de crêpes que le docteur appela dampers. Je n’ai jamais beaucoup aimé ce genre de galette frite. Mais Livingstone, réduit à vivre de maïs vert, pendant qu’il était dans le Londa, — pas de viande dans l’endroit où il se trouvait, — s’est ébranlé les incisives en arrachant les grains des épis, et les crêpes lui étaient agréables en raison de leur mollesse. Pour moi, je préférais les scones de Virginie, sorte de biscuit de maïs, qui me paraissait être ce que l’on pouvait avoir, dans cette région, de moins éloigné d’un pain mangeable.

« A la vue de cette immense cuvette que portait l’un de vos gens, me dit le docteur, j’avais bien pensé que vous étiez un homme luxueux ; mais je ne m’attendais pas à un pareil faste : des couteaux, des assiettes, de l’argenterie, des tasses avec leurs soucoupes, une théière en argent, tout cela sur un tapis de Perse, et des valets bien stylés ! »

Ainsi débuta notre vie commune. Jusqu’à mon arrivée, je ne ressentais pour lui nulle affection ; il n’était pour moi qu’un but, qu’un article de journal, un sujet à offrir aux affamés de nouvelles ; un homme que je cherchais par devoir, et contre lequel on m’avait mis en défiance. Je le vis et je l’écoutai. J’avais parcouru des champs de bataille, vu des révoltes, des guerres civiles, des massacres ; je m’étais tenu près des suppliciés pour rapporter leurs dernières convulsions, leurs derniers soupirs ; jamais rien