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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/384

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Le docteur se plaignait vivement de ce que ses objets d’échange avaient été confiés à des esclaves, malgré les fréquentes prières qu’il avait adressées à Zanzibar pour que rien ne lui fût envoyé que par des hommes libres. En répétant dans chacune de ses lettres que ces derniers seuls méritaient confiance, et qu’il ne fallait pas compter sur les autres, Livingstone n’écrivait rien de neuf. Il y a trois mille ans qu’Eumée disait à Ulysse :

« Jupiter a établi cette règle invariable : que le jour, quel qu’il soit, où un homme est réduit en esclavage, cet homme perd la moitié de ce qu’il vaut. »

Le docteur le savait mieux que personne ; de là son insistance pour que l’on n’employât pas d’esclaves ; et l’on conçoit qu’après tant de prières, dont l’oubli le mettait dans une situation désespérée, il se soit plaint avec une certaine amertume du peu de cas que l’on avait fait de ses paroles. Les amis du docteur Kirk, aussi bien que les siens, auront toujours à regretter que ses recommandations n’aient pas été mieux comprises.

Il y a encore un point au sujet duquel je demande à dire quelques mots ; je veux parler des lettres que Livingstone a envoyées à Londres, et de la manière dont on les a traitées[1].

Lorsque du centre de l’Afrique un voyageur annonce une découverte quelconque et tire certaines conclusions de sa découverte, la nouvelle ne peut manquer de faire grand bruit dans le monde géographique, où ses paroles ont nécessairement beaucoup de poids. Néanmoins les raisons qui l’ont amené aux conclusions qu’il présente sont parfois trop nombreuses, toujours trop longues à dire pour être exposées dans une lettre. Si étendue que soit la dépêche, elle ne saurait faire voir le nouvel horizon sous tous les aspects qu’il offre à celui qui le contemple, et les discussions qui s’élèvent à cet égard ne peuvent être le plus souvent qu’erronées ; mais en l’absence de renseignements précis, renseignements conservés par l’auteur pour être développés dans son livre, ces discussions prématurées sont réduites au rôle d’hypothèses et n’ont plus rien de dangereux.

Livingstone s’est donc abstenu de toute correspondance officielle avec la Société de Géographie de Londres, et s’est contenté d’écrire à son ami sir Roderick Murchison, président de cette

  1. Ces paroles font allusion au peu d’importance que l’on a reproché aux dépêches du grand voyageur, reproche que dans notre humble sphère nous avons eu l’occasion de combattre, et sur lequel on s’est fondé pour établir que le Livingstone actuel n’avait plus rien de celui d’autrefois. (Note du traducteur.)