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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/399

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« Non, fut-il répliqué ; le jour est fini ; il est trop tard ; mais si vous payez le tribut, le chef vous donnera quelque chose quand vous repasserez. »

Le docteur se mit à rire, et dit au chef qui arrivait : « Puisque vous attendez notre retour pour nous faire un présent, je payerai quand nous reviendrons. »

Déconcerté d’abord, le matéko réfléchit, puis en revint à sa demande.

« Apportez-nous un mouton, reprit le docteur, un petit mouton ; nos estomacs sont vides ; il est tard, et nous avons faim depuis la moitié du jour. »

L’appel fut entendu ; le vieux chef s’empressa de nous envoyer un agneau, accompagné de douze ou quinze litres de vin de palme, et reçut en échange ses dix mètres d’étoffe.

L’agneau fut tué sans retard, et parfaitement digéré ; mais le vin de palme, hélas ! Ce vin, à la fois doux et capiteux, quel présent funeste ! Souzi, l’inestimable adjoint du docteur, et Bombay, le chef de mes hommes, étaient chargés de veiller sur le canot ; imbibés de la fatale liqueur, ils dormirent d’un sommeil de plomb ; et le lendemain nous avions à déplorer la perte d’une foule de choses, qui, pour nous, étaient d’un prix inestimable ; entre autres la ligne de sonde de mon compagnon, une ligne de neuf cents brasses ; cinq cents cartouches, faites pour mes propres armes, et quatre-vingt-dix balles de mousquet.

Outre ces objets indispensables dans une contrée hostile, on nous avait enlevé un grand sac de farine, et tout le sucre du docteur.

C’était la troisième fois que la négligence de Bombay me causait une perte considérable, et la quatre-vingt-dix-neuvième que je me repentais amèrement d’avoir eu foi aux éloges que Speke et Grant lui ont donnés.

L’ignorance et la couardise avaient seuls empêché les voleurs d’emmener le canot, avec tout ce qu’il renfermait, y compris Bombay et Souzi, qui auraient été bel et bien vendus.

Je me figure sans peine l’agréable surprise des filous au goût exquis du sucre, et leur étonnement à la vue des cartouches ; mais qui sait le résultat de leur trouvaille ? Cette caisse de munitions, entre leurs mains, a pu devenir la boite de Pandore. Pourvu qu’ils ne se soient pas blessés avec les balles explosibles, et avec ces petits cylindres de cuivre, dont ils ignoraient le contenu, et qu’ils ont pu vouloir essayer de fondre !