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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/401

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breuse, échelonnée depuis le bord de l’eau jusqu’au pied de la montagne.

À moitié chemin des deux caps, se trouve un groupe de villages, appelé Bikari, dont le chef réclame un tribut des gens qui passent sur ses terres.

Depuis que la disparition de mes cartouches ne nous permettait plus d’affronter une lutte sérieuse, nous évitions avec soin tous les endroits qui étaient mal famés chez les Vouajiji. Mais cette fois nos guides se méprirent sur les intentions des indigènes, ou pensèrent qu’une halte, à l’ombre des bananiers, valait mieux que d’être immobiles en plein soleil dans une étroite pirogue. Toujours est-il que nos Vouajiji n’avaient pas encore exprimé leur opinion, lorsque les Vouabikari nous hélèrent du rivage, en nous menaçant de la vengeance de leur chef, si nous passions sans nous arrêter. Leurs voix ne ressemblant en rien au chant des sirènes, nous refusâmes d’obéir.

Le peu d’effet de leurs menaces irrita les réclamants ; ils eurent recours aux pierres et se mirent à nous en jeter avec fureur. Effleuré par l’un des cailloux, je fis entendre qu’une balle pourrait être envoyée sur la plage, en guise d’avertissement ; mais le silence du docteur parut désapprouver cette mesure, et nous filâmes sans répondre.

Comme ces démonstrations hostiles n’avaient rien d’agréable, et qu’elles paraissaient devoir se renouveler à chacun des villages devant lesquels nous passions, notre canot fut conduit tout d’une traite à la pointe de Mouremboué. La rivière du même nom formait là un delta protégé par un large fouillis de papyrus, de roseaux, de canne épineuse, que l’indigène le plus audacieux n’oserait affronter, surtout sachant que derrière ces chevaux de frise étaient les fusils d’hommes blancs, auxquels ses compatriotes venaient de faire une grave injure.

Notre pirogue traînée sur la rive, nous allâmes nous asseoir dans un petit coin sableux, ou Férajji ne tarda pas à nous servir d’excellent café.

Malgré le danger qui nous menaçait toujours, nous éprouvions un bien-être réel. L’entretien s’éleva peu à peu dans les régions supérieures, où il nous entraîna bien au-dessus des ressentiments terrestres ; et sous l’influence du moka et d’une douce philosophie, nous nous sentîmes émus de pitié pour les aveugles qui nous provoquaient. Le docteur avait souvent rencontré de pareilles dispositions ; il les attribuait à la conduite insensée, non moins