Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/49

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place d’un sou, un rouleau de fil de métal en guise de pièce d’or ; et pour transporter cette monnaie encombrante, vous n’avez pas de wagon, pas de chameau, pas de cheval, pas de mulet ; rien que des hommes tout nus, qui prennent, au minimum, et pour la moitié du chemin, quinze dollars par soixante-dix livres, sans compter leur nourriture. En outre, il est difficile de les avoir ; les réunir demande beaucoup de temps ; et j’étais pressé. Je pensai, dès lors, qu’une petite charrette, proportionnée aux sentiers de chèvre du pays, ne serait pas sans avantage. Si un âne portait cent quarante livres, il était probable qu’il en traînerait le double, ce qui remplacerait quatre hommes. Je fis donc construire une petite voiture de cinq pieds de long, sur dix-huit pouces de large, à laquelle furent adaptées les roues de devant d’un petit chariot américain. Elle devait servir pour les caisses de munitions, à la fois lourdes et étroites. On verra si la pratique justifia ma théorie.

Quand j’eus achevé mes préparatifs, et que je vis ces longues files de ballots, ces rangées de caisses, ces porte-manteaux, ces tentes, ces masses d’objets de toute nature empilés les uns au-dessus des autres, je me sentis confus de ma témérité. Il y avait là un matériel pesant au moins six tonnes ; comment lui faire traverser le désert, qui, du rivage, s’étend jusqu’aux grands lacs ? Bah ! me dis-je en moi-même ; chasse tous les doutes, camarade, et à l’œuvre ! À chaque jour suffit sa peine ; n’empruntons pas au lendemain. La charge étant de soixante-dix livres, il faut, pour en convoyer onze mille, près de cent soixante porteurs ; voyons à nous les procurer.

Une chose que mes prédécesseurs ont oublié de dire, et que j’allais oublier moi-même, c’est qu’il ne faut venir à Zanzibar qu’avec du numéraire. Lettres de crédit, lettres de change, billets à ordre, effets de commerce et autres sont d’un siècle en avant des Zanzibarites. Votre portefeuille est rempli, votre signature vaut de l’or ; vous avez des traites, des bank-notes, des mandats, carte blanche pour n’importe quelle somme ; vous montrez cela, vous expliquez, vous priez, on ne vous en rogne pas moins chaque dollar de vingt à trente pour cent. C’est l’un des souvenirs les plus irritants qui me soient restés, sinon le plus désagréable de tous[1].

  1. Le dollar le plus usité dans cette région est le thaler dit de Marie-Thérèse, qui est employé par les Arabes comme étalon de la Vouakiyyah, seizième de la livre, et par conséquent l’once du pays. Mais là-bas, le taux de l’argent n’a pas même d’échelle fixe. Le dollar à colonnes, ou dollar espagnol, valait, en 1859, de 6 à 8 pour 100 de