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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/528

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13 mars. Le dernier jour est fini, le dernier soir est venu ; demain ne peut pas être évité. Je me révolte contre le sort qui nous sépare. Les minutes s’écoulent rapidement et font des heures.

Notre porte est close. Tous deux, nous nous livrons à nos pensées ; elles nous absorbent. Quelles sont les siennes ? je ne pourrais le dire, mais les miennes sont tristes. Il faut que j’aie été bien heureux pour que le départ me cause tant de chagrin !

La fièvre ne m’a-t-elle pas torturé, accablé dernièrement encore d’une agonie de chaque jour ? N’ai-je pas souffert jusqu’à la folie, serré les poings avec fureur, et combattu en désespéré les monstres que suscitaient mon délire ? — Je n’en regrette pas moins les joies ressenties dans la compagnie de cet homme, bien que je les aie payées si cher.

Le temps fuit, se moquant de la douleur qu’il fait naître ; et je ne peux pas l’arrêter. Qu’il passe donc ! Combien de fois déjà n’ai-je pas eu cette angoisse de quitter un ami ! J’aurais voulu rester encore ; mais l’heure inévitable arrivait : c’était la même tristesse. Cette fois elle est plus poignante ; l’adieu peut être pour toujours — pour toujours ! murmure un douloureux écho.

J’ai écrit tout ce qu’il a dit ce soir ; mais personne n’en saura rien ; c’est à moi ; j’en suis jaloux comme il peut l’être de son journal. Sur la toile imperméable qui enveloppe cet écrit, j’ai mis en grosses lettres rondes, et en allemand : « ne doit être ouvert sous aucun prétexte » ; ce qu’il a confirmé de sa signature.

J’ai sténographié toutes ses paroles au sujet des curiosités qu’il possède, et de leur distribution équitable entre ses enfants et ses amis ; puis son dernier désir à l’égard de sir Roderick Murchison, dont il est fort inquiet depuis que nous avons vu dans les journaux que l’illustre vieillard a eu une attaque de paralysie. Il peut être sûr que je lui en enverrai des nouvelles dès que j’aurai gagné Aden ; et je lui promets que le message lui arrivera plus vite que pas un de ceux qui furent jamais envoyés au cœur de l’Afrique[1].

« Demain, docteur, vous serez seul, lui dis-je.

— Oui, la mort semblera avoir passé dans la maison. Vous feriez mieux d’attendre que les pluies qui vont venir soient terminées.

— Je voudrais le pouvoir, docteur, j’en rendrais grâces à Dieu ;

  1. À cette époque, sir Roderick était mort. (Note du traducteur.)