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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/79

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dans toute sa gloire, nous fit sentir son ardeur réellement africaine.

Vers la moitié du chemin, nous rencontrâmes une eau stagnante, qui s’extravasait en une mare fangeuse, précisément au milieu du sentier. Un pont jeté à la hâte, à une époque lointaine, par quelques Vouashenzi[1] secourables, nous aida à franchir cette bourbe. Non pas qu’il fût commode : des branches tortues et noueuses posées sur des fourches branlantes et qui, évidemment, avaient mis à l’épreuve la patience et l’adresse d’un grand nombre de pagazis, comme elles faisaient des nôtres. Les ânes furent déchargés, leurs fardeaux portés par les hommes, et sans nous causer beaucoup de retard. Chacun travailla lestement, sous l’active surveillance de Shaw.

Peu de temps après nous atteignions le Kingani, célèbre par ses hippopotames, et nous entrions dans la jungle qui borde sa rive droite. Tout à coup nous fûmes arrêtés par un canal rempli de fange noire et d’une profondeur inconnue. Bien que cette fondrière n’eût que huit pieds de large, cette fois la chose était grave ; les ânes, encore moins les chevaux, ne pouvaient pas franchir ce canal sur deux perches, comme nos bipèdes, ni entrer dans cette fange qui les aurait engloutis. Le seul moyen était de faire un pont, qui, dans ce pays conservateur, rappellerait aux générations futures l’œuvre des Vouasoungou.

Avec des haches américaines, les premières dont les coups eussent retenti dans cette partie du globe, construire un pont n’était pas difficile. Croyez bien que ce fut vite fait ; où se rencontre le blanc civilisé, l’obstacle doit s’évanouir. Six gros arbres furent jetés d’une rive à l’autre, quinze bâts de nos ânes, mis en travers sur cette charpente, furent revêtus d’une forte couche d’herbe, et le passage eut lieu sans accident. C’était le troisième canal que nous franchissions depuis le matin.

Nous nous trouvâmes sur la rive droite du Kingani, qui, à cette place coule vers le nord. Un millier de pas dans cette direction, au milieu d’un fourré d’herbes gigantesques et de lianes extravagantes, nous conduisit à l’endroit où l’on passe la rivière.

Quand je vis cette eau profonde et bourbeuse, je souhaitai vivement de posséder la baguette de Moïse, ou mieux encore, l’anneau d’Aladin, qui nous eût mis sans peine sur l’autre rive ; mais

  1. Nom générique donné aux gens de l’intérieur, en opposition avec les noms de Vouangouana et de Vouamrima qui désignent les natifs de Zanzibar et ceux de la côte, (Note du traducteur.)