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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/93

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« Êtes-vous le grand chef du Kingarou ?

— Heuh-euh… Oui.

— Le chef suprême ?

— Heuh-euh… Oui.

— Combien avez-vous de soldats ?

— Comment ?

— Combien avez-vous de guerriers ?

— Aucun.

— Oh ! je pensais que vous en aviez mille, pour oser mettre à l’amende un Mousoungou, un homme qui a des masses de fusils et de soldats.

— (D’un air légèrement perplexe.) Non, je n’ai pas de soldats ; j’ai seulement quelques jeunes gens.

— Pourquoi alors venez-vous faire tout ce tapage ?

— Ce n’est pas moi ; ce sont mes frères qui m’ont dit : « Allons, Kingarou, allons ! Voyez ce qu’a fait l’homme blanc ! Il a pris possession de votre terre en y mettant son cheval, sans que vous l’ayez permis. » Allez le trouver ; et demandez-lui de quel droit il a fait cela. Je suis donc venu, et je demande qui vous a permis de prendre mon terrain pour un cimetière ?

— Je n’ai pas besoin de permission pour faire une chose qui est bonne, répondis-je. Mon cheval est mort ; si je l’avais laissé à découvert, la maladie se serait abattue dans le village, les eaux seraient devenues malsaines. Au lieu de s’arrêter chez vous, les caravanes se seraient détournées, en disant : l’endroit est mauvais. Mais assez de paroles ; je croyais bien faire, je vous ai déplu ; l’erreur est facile à réparer. Bombay ! m’écriai-je, appeler des soldats et faites leur prendre des houes ; qu’ils aillent tout de suite déterrer le cheval. Quand ils l’auront sorti de la fosse, ils le traîneront à la place où il est mort ; j’entends qu’il y reste. Puis vous annoncerez la marche : nous partons demain matin.

— Akouna, akouna, Bana ! Non, non, maître, cria bien plus fort que moi le vieux Kingarou, dont la tête branlait d’émotion. Ne vous fâchez pas, Mousoungou ; le cheval est mort ; il est enterré ; c’est bien ; qu’on n’y touche pas, et soyons bons amis ! »

Nous échangeâmes un « quahary » amical, et je restai seul à ruminer sur la perte que j’avais faite.

Il n’y avait pas une demi-heure que le chef m’avait quitté, lorsqu’au milieu du silence — il était neuf heures du soir — j’entendis se plaindre profondément. C’était mon second cheval que la douleur faisait gémir. Je pris une lanterne et j’allai le voir.