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Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/43

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de faire la cour à une femme et de s’exposer à l’humiliation d’un refus ; ce livre aura leur haine. Parmi tant de gens d’esprit que j’ai vus condamner cet ouvrage par diverses raisons, mais toujours avec colère, les seuls qui m’aient semblé ridicules sont ces hommes qui ont la double vanité de prétendre avoir toujours été au-dessus des faiblesses du cœur, et toutefois posséder assez de pénétration pour juger a priori du degré d’exactitude d’un traité philosophique, qui n’est qu’une description suivie de toutes ces faiblesses.

Les personnages graves, qui jouissent dans le monde du renom d’hommes sages et nullement romanesques, sont bien plus près de comprendre un roman, quelque passionné qu’il soit, qu’un livre philosophique, où l’auteur décrit froidement les diverses phases de la maladie de l’âme nommée amour. Le roman les émeut un peu ; mais à l’égard du traité philosophique, ces hommes sages sont comme des aveugles qui se feraient lire une description des tableaux du Musée, et qui diraient à l’auteur : « Avouez, monsieur, que votre ouvrage est horriblement obscur. » Et qu’arrivera-t-il si ces aveugles se trouvent des gens d’esprit, depuis longtemps en possession de cette dignité,