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Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/242

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passions sent d’abord que cette vie heureuse l’ennuie, et peut-être aussi qu’elle ne lui donne que des idées communes. Je voudrais, vous disait C…, n’avoir jamais connu la fièvre des grandes passions, et pouvoir me payer de l’apparent bonheur sur lequel on me fait tous les jours de si sots compliments, auxquels, pour comble d’horreur, je suis forcé de répondre avec grâce. — Moi, philosophe, j’ajoute : Voulez-vous une millième preuve que nous ne sommes pas faits par un être bon, c’est que le plaisir ne produit pas peut-être la moitié autant d’impression sur notre être que la douleur[1]… La Contessina m’a interrompu : « Il y a peu de peines morales dans la vie qui ne soient rendues chères par l’émotion qu’elles excitent ; s’il y a un grain de générosité dans l’âme, ce plaisir se centuple. L’homme condamné à mort en 1815, et sauvé par hasard (M. L*** par exemple), s’il marchait au supplice avec courage, doit se rappeler ce moment dix fois par mois ; le lâche qui mourait en pleurant et jetant les hauts cris (le douanier Morris, jeté dans le lac, Rob Roy, III, 120), s’il est aussi sauvé par hasard, ne peut tout au plus se sou-

  1. Voir l’analyse du principe ascétique, Bentham, Traités de législation, tome I.
    On fait plaisir à un être bon en se faisant souffrir.