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Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/326

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« Quel bonheur d’en être aimée ! » Ou bien, elle examine cette autre question bien autrement importante : « Puis-je espérer d’en être aimée véritablement ? N’est-ce point par jeu qu’il me dit qu’il m’aime ? » Quoique habitant un château bâti par Lesdiguières, et appartenant à la famille d’un des plus braves compagnons du fameux connétable, Ernestine ne s’est point fait cette autre objection : « Il est peut-être le fils d’un paysan du voisinage. » Pourquoi ? Elle vivait dans une solitude profonde.

Certainement Ernestine était bien loin de reconnaître la nature des sentiments qui régnaient dans son cœur. Si elle eut pu prévoir où ils la conduisaient, elle aurait eu une chance d’échapper à leur empire. Une jeune Allemande, une Anglaise, une Italienne, eussent reconnu l’amour ; notre sage éducation ayant pris le parti de nier aux jeunes filles l’existence de l’amour, Ernestine ne s’alarmait que vaguement de ce qui se passait dans son cœur quand elle réfléchissait profondément, elle n’y voyait que de la simple amitié. Si elle avait pris une seule rose, c’est qu’elle eût craint, en agissant autrement, d’affliger son nouvel ami et de le perdre. « Et, d’ailleurs, se disait-elle, après y avoir beaucoup songé, il ne faut pas manquer à la politesse. »

Le cœur d’Ernestine est agité par les