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Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/343

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DE L’AMOUR

lui-même tout l’intérêt qu’il pouvait prendre aux choses de la vie, s’imagina qu’elle était attaquée de la poitrine. Ernestine le crut aussi, et elle dut à cette idée les seuls moments passables qu’elle eut à cette époque ; l’espoir de mourir bientôt lui faisait supporter la vie sans impatience.

Pendant tout un long mois, elle n’eut d’autre sentiment que celui d’une douleur d’autant plus profonde, qu’elle avait sa source dans le mépris d’elle-même ; comme elle n’avait aucun usage de la vie, elle ne put se consoler en se disant que personne au monde ne pouvait soupçonner ce qui s’était passé dans son cœur, et que probablement l’homme cruel qui l’avait tant occupée ne saurait deviner la centième partie de ce qu’elle avait senti pour lui. Au milieu de son malheur, elle ne manquait pas de courage ; elle n’eut aucune peine à jeter au feu sans les lire deux lettres sur l’adresse desquelles elle reconnut la funeste écriture anglaise.

Elle s’était promis de ne jamais regarder la pelouse au delà du lac ; dans le salon, jamais elle ne levait les yeux sur les croisées qui donnaient de ce côté. Un jour, près de six semaines après celui où elle avait lu le nom de Philippe Astézan, son maître d’histoire naturelle, le bon M. Villars, eut l’idée de lui faire une leçon